Please activate JavaScript!
Please install Adobe Flash Player, click here for download

Dental Tribune Édition Française No. 4, 2018

10 DROIT Dental Tribune Édition Française | Avril 2018 bonne pratique (donc par sa formulation) pour lui attribuer le statut « d’acte faisant grief ». Il en découle ainsi que toute recom- mandation médicale opposable s’impose réellement aux praticiens. Le 27 avril 2011,5 saisi par FORMINDEP (acronyme de : Association pour une FORMation médicale INDEPendante), suite au refus de la HAS d’abroger la recomman- dation relative au traitement médicamen- teux du diabète de type 2, diffusée en no- vembre 2006, le Conseil d’État est sollicité afin d’enjoindre la HAS à abroger cette recommandation litigieuse au prétexte qu’elle avait été émise dans le non-respect des procédures de gestion des conflits d’in- térêts; certains auteurs de la dite recom- mandation entretenant des relations prohi- bées avec des entreprises pharmaceutiques. Le Conseil d’État (qui statue en droit) pro- nonce l’annulation de la décision (de refus d’abrogation) de la HAS et l’enjoint à abroger cette recommandation professionnelle. Pour le conseil d’État, « eu égard à l‘obliga- tion déontologique, incombant aux profes- sionnels de santé en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables, d‘assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science, telles qu‘elles ressortent notam- ment de ces recommandations de bonnes pratiques, ces dernières doivent être regar- dées comme des décisions faisant grief sus- ceptibles de faire l‘objet d‘un recours pour excès de pouvoir… ». Ainsi, les recommandations de bonnes pra- tiques en s’imbriquant à l’obligation déonto- logique du professionnel de santé de prodi- guer des soins conformes aux données ac- quises de la science deviennent de facto op- posables au pour conséquences : • la responsabilité du praticien pour faute praticien avec en cas d’inobservance, • la responsabilité des auteurs des recom- mandations via le recours pour excès de pouvoir. Le recours pour excès de pouvoir est un recours par lequel le requérant de- mande au juge administratif de contrôler la légalité d’une décision administrative et d’en prononcer l’annulation si elle est illé- gale, et ce, dans l’intérêt général. C’est sous cette condition que le conseil d’Etat pour- ra dans ce cas précis contrôler le principe d’impartialité des auteurs. Ainsi, toutes les recommandations de bonnes pratiques sont des actes faisant grief, et donc susceptibles de recours pour excès de pouvoir. On constate depuis une tendance au contrôle juridictionnel des recommanda- tions de bonnes pratiques qui semblent donc devenir attaquables. Le Conseil d’État élabore désormais une jurisprudence posi- tive en la matière. Les implications juridiques pour le praticien : Contraintes exercées sur le professionnel de sante via le truchement des données ac- quises de la science : La décision du 12/01/2005 du Conseil d’État ne donnait pas aux recommanda- tions de bonnes pratiques de valeur impéra- tive, et n’en faisait pas la source unique des données acquises de la science. Cependant les recommandations consti- tuent pour les juges l’élément central d’ap- préciation du respect par le professionnel, de son obligation de délivrer des soins conformes aux données acquises de la science, même en l’absence, en droit, de valeur normative des recommandations : Ainsi, la cour d’appel de Montpellier (ju- ridiction civile) considère que « si les re- commandations de l’HAS n’ont pas une va- leur normative juridique, elles n’en sont pas moins une valeur scientifique, au même titre que les données acquises de la science… »,6 dans une affaire où, suite à une intervention chirurgicale, un patient qui avait subi une infection reprochait au chirurgien le non-respect des conditions d’asepsie déterminées par une recomman- dation de la HAS. Elément aisément transposable à notre activité de chirurgie implantaire, sous in- fluence notamment de la recommandation de la HAS, relative à l’environnement tech- nique.7 Ainsi, le non-respect d’une recommanda- tion constituerait donc pour les juges une présomption de faute. Contraintes exercées par la CPAM sur le professionnel de santé : En dehors de tout litige patient/praticien, « les lois de financement de la Sécurité so- ciale font référence aux recommandations de bonnes pratiques, depuis au moins le dé- but des années 2000. C’est le cas également de plusieurs articles du code de la Sécurité sociale et de la loi HPST de 2009. Dans ces différents textes législatifs, le rembourse- ment des actes de soins par l’assurance maladie est de plus en plus étroitement conditionné par le respect des bonnes pra- tiques ».8 Les professionnels de santé sont encadrés par leurs pairs (médecins ou dentistes « conseils ») et par leurs patients « consom- mateurs de soins » qui auront tout intérêt à recourir aux actes indiqués par les RBP, afin de bénéficier du remboursement à 100 % du régime de l’ALD (Affection de longue durée). Car pour ces derniers, les RBP sont garantes de « bonnes pratiques ». Alors qu’il y a une volonté notoire d’infléchir le com- portement des professionnels de santé dans le sens d’une réduction des coûts. On peut se surprendre à penser que l’avè- nement de la CCAM (Classification com- mune des actes médicaux) pourrait per- mettre une analyse plus fine des actes des professionnels de santé afin de potentielle- ment les sanctionner. L’article L145-1 du code de la Sécurité sociale permet ainsi de sanctionner le pro- fessionnel de santé : « Les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l‘exercice de la profession, relevés à l‘encontre des mé- decins, chirurgiens-dentistes ou sages- femmes, à l‘occasion des soins dispensés aux assurés sociaux, sont soumis » à la sec- tion des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance et en ap- pel à la chambre disciplinaire nationale du conseil national de l‘ordre compétent. C’est l’apanage du droit administratif. Les implications cliniques pour le professionnel de sante : Sur la justesse et la crédibilité des recom- mandations de bonnes pratiques : Mais qu’en est-il de la crédibilité et de la jus- tesse des recommandations de bonnes pra- tiques : • Quand elles deviennent obsolètes, sachant que le développement des connaissances médicales connaît rapidement un déve- loppement exponentiel ? Les recomman- dations de bonnes pratiques ne repré- sentent en fait qu’un instantané des don- nées acquises de la science, uniquement au moment de leur rédaction et elles ne sont pas actualisées régulièrement. • Quand elles sont potentiellement dange- reuses ? Certaines recommandations de bonnes pratiques sont potentiellement dange- reuses « lorsqu’elles reposent sur des don- nées erronées, ou lorsque les données sur lesquelles elles reposent ne sont pas ac- tualisées alors que des éléments nou- veaux ont été publiés. »9 • Quand les économies de santé imposent leur loi ? Étienne Caniard faisait état dans son rapport au ministre Kouchner de recom- mandations « économiquement satisfai- santes » !10 Mais soins « au rabais » et maîtrise uni- quement comptable des dépenses de san- té ne peuvent permettre l’adhésion de l’opinion publique et des professionnels de santé. En effet, la notion de maîtrise écono- mique du coût de la santé se confronte à l’obligation de moyens du professionnel de santé, qui doit prodiguer à son patient les soins les plus adaptés. En pratique : approche déontologique : Le Conseil national de l’ordre des méde- cins,11 tout en commentant l’article 32 du code de déontologie (renommé R. 4127-32 du code de la santé publique), et en particulier l’expression « données acquises de la science » nous apporte un avis éclairant sur les recommandations de bonnes pratiques : « …cette science médicale ne doit pas se voir attribuer une portée absolue. Elle donne des indications générales, guidant le méde- cin face à un patient particulier et n‘impose pas qu‘on les applique sans esprit critique. Cela signifie qu‘elles seront suivies simple- ment dans la plupart des cas, tandis que pour les autres patients le médecin s‘en ins- pirera pour personnaliser une conduite à te- nir en y apportant les nuances de l‘art médi- cal. Ces nuances ne sont pas le fruit d‘une inspiration personnelle extemporanée, elles doivent pouvoir être justifiées sur des cri- tères objectifs. » Il semble donc indispensable pour le pro- fessionnel de santé d’adapter les recom- mandations de bonnes pratiques émanant des autorités publiques en fonction : • pour ces recommandations : · de leur validité au moment du traite- ment ; · de la pertinence de leur contenu. • pour le praticien : · de ses connaissances scientifiques solide- ment étayées (enseignement, publica- tions de niveau de preuve élevé, recom- mandation très récente de société sa- vante, consensus, conférences suivies no- tamment dans le cadre de sa formation continue impérative, consacrée par le code de déontologie) ; · de son éthique ; · du cas particulier du patient ; · voire même du refus12 de ce dernier de se voir prodiguer un traitement pourtant préconisé par une recommandation de bonne pratique, tout en sachant que le non-respect des recommandations de- vrait constituer aux yeux du juge une présomption de faute du praticien. Dans ce cas, il appartiendra au médecin pour- suivi de prouver que lesdites recomman- dations ne correspondent pas ou plus aux données acquises de la science au moment du comportement présumé fautif, ou qu’elles ne correspondent pas au cas particulier du patient. En conclusion, hormis les recommanda- tions médicales opposables (RMO) intégrées dans des arrêtés ministériels ainsi que le rappelle le législateur dans les articles L1111-2 et L1111-9 du code de la santé publique, les recommandations de bonnes pratiques émanant des autorités publiques sont des instruments de droit souple à la ju- ridicité incertaine, évoluant au gré des juris- prudences. Créées initialement pour guider le prati- cien dans ses choix thérapeutiques, tout en maîtrisant le progrès médical et son impact économique, elles sont désormais considé- rées comme « faisant grief » potentielle- ment au patient, au praticien, voire à un éta- blissement de soins, en vertu de leur formu- lation impérative (RMO) ou de leurs effets. Le Conseil d’État semble accepter de se pencher sur elles, afin vraisemblablement de ne pas laisser les autorités publiques s’oc- troyer un pouvoir en l’absence de tout contrôle juridictionnel.13 Ainsi, le recours en excès de pouvoir devient possible. Bien qu’elles exercent une contrainte ma- jeure sur le professionnel de santé, les juges reconnaissent cependant qu’elles ne sont pas la source unique des données acquises de la science, ouvrant ainsi la possibilité au praticien poursuivi de justifier ses choix thérapeutiques dès lors qu’ils divergeraient desdites recommandations. 1 David Jacotot. Quelle valeur accorder aux re- commandations de la HAS ? La lettre N°100, Septembre 2011 pages 29 à 31. 2 Bery A, Cantaloube D, Delprat L. Expertise dentaire et maxillo-faciale. Principes, con- duite et indemnisation, EDP sciences, 2010, 403p. 3 Claudot F, Juillière Y. La portée juridique des recommandations de la HAS : les appliquer ou ne pas les appliquer ? CONSENSUS CAR- DIO pour le praticien- N°72. Octobre 2011, pa- ges 30 à 32. 4 Conseil d’État 26 septembre 2005, 1re et 6e sous-sections réunies. N°270234. 5 Conseil d’État, 1re et 6e sous-sections réunies, 27/04/2011, N° 334396 (arrêt formindep). 6 CA Montpellier. 26 novembre 2013, n°12/06098 7 Conditions de réalisation des actes d’implan- tologie orale : environnement technique : HAS 2008. http://www.has-sante.fr/portail/upload/ docs/application/pdf/2008-07/rapport_ implantologie_orale_vd.pdf 8 Rolland C, Sicot F. Les recommandations de bonnes pratiques en santé. Du savoir médi- cal au pouvoir néo-managérial. Gouverne- ment et action publique. 2012/3 (n°3), p. 53- 75. (Presses de Sciences Po). 9 Diévart F. Les recommandations de bonnes pratiques : vers une situation potentielle- ment paradoxale ? Réalités Cardiologiques n°300, mars/avril 2014, p. 8 à 12. 10 Caniard Etienne. Les recommandations de bonnes pratiques : un outil de dialogue, de responsabilité et de diffusion de l’innovati- on. Rapport à M. Bernard Kouchner, Ministre de la Santé. Avril 2002. 93 p. 11 Site internet du Conseil national de l’ordre des médecins. Commentaire sur l’article 32 du code de déontologie (article R.4127-32 du code de la santé publique) 11/10/2012. https://www.conseil-national.medecin.fr/ article/article-32-qualite-des-soins-256. 12 Simonet P, Missika P, Pommarède P. Recom- mandations de bonnes pratiques en odonto- stomatologie- Anticiper et gérer la contesta- tion. Editions Espace ID, 2015, 416p. 13 Véron Paul. L’évolution du contrôle des re- commandations de bonnes pratiques, Méde- cine & Droit 2015 (pages 53 à 62). Dr Sylvie Cohen-Tanugi Sebag · Docteur en chirurgie dentaire, diplômée de l’université de Paris 7. · CES de biomatériaux, de prothèse fixée, de parodontologie de l’université Paris 7. · DU de prothèse fixée de Paris 7. · DU d’implantologie de l’université d’Evry-Val d’Essonne Paris 12. · DU d’expertise en médecine dentaire de l’université Paris Diderot - Paris 7.

Sommaire des pages