Please activate JavaScript!
Please install Adobe Flash Player, click here for download

Prévention Tribune Édition Française No. 1, 2018

26 INTERVIEW Prévention Tribune Édition Française | Février 2018 Les brossettes interdentaires L’arme absolue pour combattre l’apparition de problèmes dentaires et gingivaux Dental Tribune : Au sein de l’ADF, nous avons eu du mal à trouver un dentiste prêt à parler avec enthousiasme des brossettes interden- taires. Pourquoi donc ? Dr Matthias Rzeznik : Les dentistes fran- çais n’ont pas la culture de la prophylaxie, et encore moins l’usage des brossettes in- terdentaires. Lorsque je demande à mes col- lègues ce qu’ils savent par exemple du bros- sage interdentaire, la plupart me répondent qu’il n’est pas possible de faire franchir une Dr Matthias Rzeznik brossette à travers l’espace interproximal. Dans certains cas, effectivement elle ne pourra pas passer notamment si on note la présence de tartre interdentaire. Toutefois, l’angulation des brossettes modernes leur permet de se glisser n’importe où, ou presque (95 % des espaces). Malgré cela, pour les patients et de nombreux chirur- giens-dentistes ces idées fausses ont la vie dure et ils préfèrent utiliser le fil dentaire. Mais, le fil dentaire n’est pas véritablement efficace pour éliminer la plaque dentaire, même en le passant « comme une serviette dans le dos », il ne nettoie pas les concavités des dents. Au même titre que le jet dentaire, il est conçu pour éliminer les débris alimen- taires. Je conseille toujours de faire le test de passer le fil dentaire puis une brossette, et de voir tout ce qui a été oublié entre les dents, visible, piégé dans les poils de la bros- sette. Les maladies parodontales sont-elles un pro- blème en France ? 45 % de la population française de plus de 50 ans souffre d’une forme de parodontite. Ainsi, la France est confrontée au même problème de parodontite que les États-Unis. Une des solutions pour réduire cette pro- portion est la prévention. Et environ 95 % de la population française souffre de gencives qui saignent. Malheureusement, la société considère cela comme une situation nor- male. Si les praticiens disent au patient que les brossettes interdentaires permettent d’arrêter les saignements des gencives, ces derniers ne les croiront pas, et leur pré- fèrent des solutions de bains de bouche avec ou sans eau oxygé- née. Avec les bros- settes, il est impor- tant de prévenir que les gencives conti- nueront à saigner pendant environ trois jours, puis les saigne- ments s’arrêteront naturellement car les brossettes éliminent efficacement la plaque dentaire (facteur étio- logique principal des maladies parodon- tales). Quelle est la situation dans les universités françaises ? Je suis assistant hospitalo-universi- taire à Paris, et j’en- seigne également dif- férentes formes de dentisterie préven- tive, notamment par le brossage interden- taire. Toutefois, il n’y avait pas jusque très récemment de cours spécifique sur la pro- phylaxie. C’est une avancée formidable mais qui reste encore t r è s c o n t r o ve r s é e entre les différents enseignants, qui, ne pratiquant pas sur eux-mêmes ces tech- niques de brossage, ne peuvent en être convaincus pour leurs patients. En outre, le manque de prévention fait peut-être partie de la philosophie fran- çaise. Depuis Louis XIV, les Français pré- fèrent se parfumer que se laver et donc utili- ser plutôt une solution de bouche que de frotter… Il y a quelques mois, nous avons reçu un confrère professeur pour nous parler de dentisterie restauratrice à minima. Il a fait une présentation très intéressante des nou- veaux matériaux et de leurs intérêts dans les restaurations mini invasives, pour per- mettre une meilleure préservation tissu- laire. Toutefois, à la fin de sa conférence, j’ai demandé ce qui était fait pour éviter l’appa- rition de nouvelles caries interdentaires, étant donné que toutes les restaurations qui avaient été reprises étaient des amalgames mésio-occluso-distaux. Il a répondu que rien n’est fait en plus de ce que le patient fait déjà, c’est-à-dire le fil dentaire, et qu’éven- tuellement la fluoration pouvait être envi- sagée. Cela signifie que la prévention n’est pas du tout intégrée au plan de traitement. Il a ensuite dit que les brossettes interden- taires ne devraient être utilisées qu’en cas de maladies parodontales mais pas en cas de caries, parce que les brossettes peuvent abîmer les gencives saines et créer des pertes des papilles. Devons-nous attendre qu’une maladie parodontale s’installe ou que le patient présente plus de caries pour agir ? Les brossettes interdentaires sont pour tout le monde, mais pas n’importe quelle brossette. Certaines effectivement ont un fil très rigide et peu de poils mais ar- rêtons-nous d’utiliser la brosse à dent car il en existe des dures qui abiment le paro- donte ? Nous avons noté une augmentation de l’utili- sation de cure-dents souples en France. Cela indique-t-il un changement des habitudes de nettoyage interdentaire ? Les brossettes interdentaires sont diffé- rentes des cure-dents souples. Ces derniers (soft pick) permettent d’éliminer les restes de nourriture entre les dents. Mais ils n’éli- minent toujours pas les bactéries respon- sables des maladies parodontales ou des ca- ries. Seules les brossettes interdentaires en sont capables. Et même si vous utilisez des brossettes interdentaires, il faut encore choisir la bonne taille pour qu’elles soient efficaces sans être traumatiques. Je repren- drais la règle « des 3F » de mon collègue et ami le Dr Fréderic Duffau : « Frotter, sans Forcer, sans Flotter ». Est-ce difficile de convaincre vos patients d’utiliser les brossettes interdentaires ? Disons que c’est délicat. Il faut du temps pour convaincre un patient d’utiliser des brossettes interdentaires à cause des saigne- ments lors des premières utilisations, du fait de l’inflammation ou d’une maladie pa- rodontale. Il existe une courbe d’apprentis- sage de leur utilisation. En général, je dis aux patients : « On peut faire quelque chose pour éviter que la maladie un jour ne s’ins- talle, mais pas sans vous. » Le changement demande aussi de modifier sa philosophie, et c’est difficile au départ. Et lorsque l’on ob- tient ce changement, nous devons nous as- surer qu’ils le feront toute leur vie. Toute- fois, lorsque le patient commence à les utili- ser, il ressent les bienfaits dans sa bouche, et se demande comment il a pu garder « tout cela » (plaque dentaire) entre ses dents avant. Le problème le plus important avec les pa- tients « porteurs sains » est qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir des problèmes. Lors- qu’ils sont jeunes, ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient en faire plus en terme de prévention alors que « tout va bien ». Ils ne pensent pas encore à l’avenir, lorsque leur corps sera plus vieux et que les défenses de leurs gencives seront moins fortes. La prévention primaire doit com- mencer très tôt, avant l’apparition des pro- blèmes... Quels sont les facteurs nécessaires pour changer la philosophie en France ? Il faut de la volonté et des financements pour changer. Ce pays ne met pas d’argent dans la prévention. Nous ne recevons pas d’aide de la part du gouvernement, sauf pour les enfants. Si vous faites de la préven- tion, le chirurgien-dentiste et le patient ne reçoivent rien en retour. Les couronnes et restaurations délabrantes ont une prise en charge, mais pas les traitements mini inva- sifs et conservateurs. Le système est vieux et a besoin de changer. La prévention doit être intégrée dans un protocole, sinon au- cun confrère ne l’appliquera. Et nous avons besoin de personnes qui savent ce qui est important pour la prévention. Aucun chewing-gum ni bain de bouche ne pourra jamais réduire le risque de caries ni de mala- dies parodontales. Pourquoi encouragez-vous également la fai- sabilité et la communication dans vos sémi- naires ? Ah ! Je me suis récemment rendu à une conférence à Montréal. La plupart des audi- teurs étaient des hygiénistes dentaires, donc on m’avait demandé de ne pas parler du brossage interdentaire, parce que tous connaissaient déjà cela parfaitement. Mais je commence toujours par le brossage interdentaire avant de parler des détar- treurs ultrasoniques, donc je n’ai pas voulu dévier de ma présentation habituelle parce que c’est un tout. À la fin, les auditeurs ont dit qu’ils avaient appris comment commu- niquer la prévention au patient et pas seule- ment comment le faire. Toutes les bros- settes interdentaires ne se valent pas, il faut apprendre comment les utiliser correcte- ment et prévenir les angoisses et les peurs des patients. La pratique est aussi impor- tante que la connaissance. Pourquoi dites-vous que la première étape en matière de prophylaxie est toujours le dia- gnostic ? Heureusement, les chirurgiens-dentistes souhaitent vraiment éviter les problèmes parodontaux à leurs patients, mais ils ne diagnostiquent pas suffisamment tôt les prémices des maladies. Lorsque je fais une conférence, je montre en général une photo de gencives très légèrement rougeâtres en interdentaire uniquement, pas de radio ni autre chose. L’assistance me parle de la cou- leur des dents pas assez blanches, de la dent noircie sur 46… mais presque jamais de la couleur des papilles, des « trous noirs » entre les dents, tous ces signes cliniques évocateurs des maladies parodontales. Un diagnostic court est tout ce qu’il faut. La pré- vention signifie également voir les pro- blèmes simplement à l’aide de nos yeux. Voir et prévenir. Cette prévention passe aussi par l’éduca- tion des patients pour qu’ils soient capables eux aussi de ressentir leur santé et les chan- gements dans leur bouche. Au même titre que la glycémie du patient diabétique, le pa- tient doit apprendre à connaître ses gen- cives. Dans le passé, la chirurgie parodontale était prédominante par rapport aux traite- ments non chirurgicaux, et de nombreux confrères voient encore les choses de cette façon. Heureusement, cela change. D’autres maladies chroniques telles que le diabète et les maladies cardiovasculaires ne néces- sitent pas non plus systématiquement des opérations. Il devrait en être de même des maladies parodontales. Les brossettes interdentaires, devraient être nos meilleurs amies de demain si nous souhaitons avoir des gencives saines et ré- duire le risque de caries interdentaires ! La fluoration répare les dommages causés par les bactéries, les brossettes interdentaires les préviennent. C’EST ÇA LA PRÉVENTION PRIMAIRE !

Sommaire des pages