DENTAL TRIBUNE ÉDITION BELGE NOVEMBRE 2021 INTERVIEW/BILLET D’HUMEUR 5 ment autonome un traitement, c’est quand même encore toujours un peu un tabou! Et comment l’Intelligence Artificielle (IA) peut-elle jouer un rôle en dentisterie? Je pense que nous allons assister à beaucoup de choses dans ce domaine dans les années à venir. Dans le cas des CBCT-scans par exemple, vous pouvez difficilement visuali- ser certaines structures, comme les articulations temporo-mandi- bulaires, car il n’y a pas assez de bonnes informations sur le sujet. Avec l’IA, vous pouvez entraî- ner l’ordinateur à reconnaître les informations manquantes et à les compléter dans l’image. Cela permet de meilleures images. Vous obtenez alors par exemple des images 3D qui reproduisent bien les éléments dentaires avec les racines. L’IA peut également être utilisée pour piloter les opérations et les choix qui doivent y être faits. Songez aussi au remplissage automatique du dossier dentaire. Sur base d’une radiographie, l’ordinateur reconnaît les structures, indique par exemple là où il y a des caries et le renseigne automatiquement dans le dossier. Nous avons utilisé l’IA dans un cadre de recherche avec des enfants atteints de craniosynostose. Il s’agit d’enfants très jeunes dont une des sutures crâniennes s’est refermée trop vite si bien que le cerveau ne peut pas grandir normalement. Jusqu’à présent, nous devions faire un CT-scan chez des enfants de trois mois. Aujourd’hui, à l’aide d’une photo 3D et d’un logiciel d’IA nous pouvons poser le diagnostic. C’est extrêmement prometteur. Et, bien entendu, bien mieux pour ces enfants qui ne sont pas exposés à un rayonnement et ne doivent pas être anesthésiés pour un CT-scan. Comment se fait-il que le scan- ner intra-oral n’est pas encore utilisé à très grande échelle dans les cabinets? Ces scanners n’y ont en effet pas encore totalement trouvé leur voie. Je me suis soumis à un test de scanning il y a 15 ans. À l’époque, il fallait encore rester une demi-heure la bouche ouverte et il y avait toujours de la poudre sur les dents. Pas vraiment convivial pour le patient! Actuelle- ment, on peut réaliser assez vite un scan numérique de la bouche, avec une précision élevée, même de toute l’arcade dentaire. Dans notre hôpital académique, nous entrevoyons de ce fait effectivement une énorme utilisation des scanners intra-oraux. Ils sont en fait utilisés en standard. Dans les cabinets généraux, ils sont parfaitement utilisables dans le cadre notamment de l’implantolo- gie, de la dentisterie restauratrice et de l’orthodontie. En réalisant des scans à des périodes différentes, vous pouvez par exemple bien suivre l’usure de la dentition. Vous immortalisez parfaitement en 3D à quoi ressemble la dentition. Mainte- nant que les scanners intra-oraux n’en sont plus à leurs balbutiements, je pense qu’ils deviennent vraiment un outil important. Qu’est-ce qui favorise ou entrave l’implémentation des innovations? Une connaissance suffisante de l’innovation, un bon training, la convivialité et la facilité d’utili- sation sont très importants. Vous voulez qu’un système ou qu’un appareil fonctionne bien et que vous puissiez vous y fier. Dans le cadre de la pratique, vous n’avez pas tout votre temps pour trouver d’abord comment vous devez faire. Il faut donc aussi que le fonction- nement soit facile. En outre, il y a aussi l’aspect financier. De plus, il est important de ne pas seulement utiliser une belle technologie, mais qu’elle apporte réellement un plus pour le patient et qu’elle engendre aussi une réduction des coûts. Ce que nous voyons avec notre 3D Lab, c’est que quand nous pouvons bien mieux réaliser les traitements, nous pouvons éviter à terme des reprises d’opération. Un robot qui exécute un traitement de façon autonome, c'est encore tabou Quelles nouvelles innovations et techniques n’ont pas répondu aux attentes? On mène depuis longtemps des travaux de recherche sur la naviga- tion en médecine. En neurochirur- gie et en traumatologie, cette technique est beaucoup utilisée pour accompagner des opérations et pouvoir travailler de façon mini- invasive. Tout comme dans le trafic, les techniques de navigation, qui utilisent des données 3D, assistent le spécialiste dans des opérations complexes. Dans le cadre de l’implantologie aussi il existe divers systèmes de navigation commer- ciaux, comme le X-Guide de Nobel Biocare ou le Navident de ClaroNav. Ces systèmes assistent le spécialiste lors du placement d’implants. Après qu’un planning préopératoire ait été établi, le système de navigation assiste le spécialiste pendant l’inter- vention afin de placer l’implant exactement dans la bonne position. Les coûts d’investissement et la méthode sont souvent une entrave à l’utilisation clinique. C’est difficile, certainement si vous ne l’utilisez pas en standard et seulement dans des cas particuliers. Vous devez souvent utiliser les techniques pour pouvoir bien les maîtriser et savoir quand elles fonctionnent ou pas. Ces limitations disparaissent de plus en plus avec les systèmes plus récents, si bien que l’implémentation dans la pratique clinique quotidienne devient réalisable. Pourquoi est-ce si important qu’une discipline profession- nelle innove? Je pense qu’il y a encore de très nombreuses possibilités technolo- giques qui peuvent apporter une innovation. Ce n’est bon que si cela engendre des meilleurs soins pour les patients, un travail plus prédic- tible et, je l’espère, une réduction des coûts à plus long terme. Quelles sont les innovations que vous «attendez avec impa- tience»? Je suis convaincu que l’IA peut apporter beaucoup à l’avenir. À l’heure actuelle, elle requiert quand même encore pas mal de connais- sances logicielles et techniques et il faut beaucoup de temps pour préparer certains traitements. Mais à l’avenir nous pourrons énormé- ment automatiser avec l’IA et cela deviendra de plus en plus facile pour le dentiste traitant. Avec l’IA, vous pouvez en tant que traitant affiner un certain nombre de scénarios de traitement et vous avez d’une seule poussée sur un bouton les bons matériaux pour le traitement. Et d’où doivent venir les initia- tives? De l’industrie, des univer- sités ou de la collaboration? Je préfère voir une collaboration entre l’industrie, les universités et les pratiques générales. Chez nous, les spécialistes médico-techniques collaborent véritablement avec les médecins. Je pense que c’est très important pour éliminer le plus possible les barrières et pour vraiment travailler en connexion. En raison de l’accès aux patients nous pouvons en tant qu’université faire beaucoup de recherche, tandis que l’industrie aide à développer les bons outils. Il est important que nous ne réinventions pas la roue, mais surtout que nous joignions nos forces. Que doivent faire les dentistes qui veulent être innovants? Tenir à l’œil les congrès consacrés à l’innovation. Et surtout aussi ne pas hésiter à aller voir en dehors de leur propre domaine professionnel ce qui s’y joue, par exemple dans le domaine médico-technique. La dentisterie est d’ailleurs à la pointe de l’inno- vation. Nos chirurgiens buccaux et maxillo-faciaux sont tous double- ment qualifiés en dentisterie et en médecine, ils sont habiles de leurs mains et maîtrisent rapidement les nouvelles technologies. Mais, bien évidemment, il est toujours bon de regarder au-delà des limites de son propre domaine professionnel. Billet d’humeur Hilde Devlieger Rendez-vous Il y a une dizaine d’années, j’étais – c’est évident – bien plus fraîche et présentable qu’aujourd’hui, l’inverse aurait été suspect. Désormais, mon corps et mes membres ne se gênent pas pour protester de temps à autre… Ma nuque, mon dos, mon poignet, mon coude, mon épaule et tous les muscles et tendons possibles en rapport manifestent régulièrement qu’ils sont trop surchargés. Ce qui s’exprime par toutes sortes de petites douleurs, allant du léger inconfort passager à la crampe musculaire cuisante prolongée en passant par la douleur lancinante. Il n’est – bien entendu – pas possible de travailler dans cet état. Raison pour laquelle j’ai un jour suivi une formation en ergonomie dispen- sée par un espèce de frimeur, qui s’est avéré finalement n’être que le sponsor d’une marque de chaises. J’aurais préféré passer cette journée attablée à une terrasse, heureu- sement qu’elle m’a valu un tas de points d’accréditation! Je n’ai absolu- ment rien contre l’ergonomie en théorie, mais dans la pratique je suis souvent un peu tordue au-dessus du patient avec toutes les conséquences que cela entraîne. Il m’est arrivé de parler de mes problèmes physiques avec certains patients qui me procuraient alors des tonnes de bons conseils dont, de temps à autre, il en ressortait quelque chose. Un de ces conseils était et est encore toujours de consulter le Dr T. Non, pas celui de «Docteur T et les Femmes» (un magnifique film d’ailleurs avec un Richard Gere un peu bousculé), mais un ostéopathe. Un médecin à la base qui suit mainte- nant une autre voie après des tonnes de formations au top niveau. J’étais au début extrêmement méfiante car vous devez le laisser «chipoter» à tous vos os et articulations et est-ce qu’il sait vraiment comment il faut le faire et peut-être qu’il va me craquer tellement fort que ma douleur va s’aggraver… Soit, je me suis donc rendue très peu «open minded» à sa consultation! Une demi-heure plus tard, je me suis à nouveau retrouvée sur son trottoir, avec un corps et des membres qui fourmillaient et avec une sensation de bonheur de la tête aux pieds. Un peu gênée, je regardais autour de moi pour voir si personne ne m’avait surprise l’air béat et le rouge aux joues. Les gens sont parfois vite enclins à tirer de mauvaises conclu- sions. J’ai donc désormais régulièrement un rendez-vous secret avec le Dr T, grand entretien, petit entretien, peu importe, ce n’est pas à côté de la porte, mais même mes patients en profitent car maintenant il n’y a plus une personne toute tordue qui se penche sur eux et cette personne s’est même permis de fredonner pendant un surfaçage radiculaire, tellement cette personne était contente. Merci, Dr T. Etude des liens entre le microbiome oral, les variations génétiques et la parodontite TEXTE: DENTAL TRIBUNE INTERNATIONAL OKAYAMA, Japon La parodontite étant liée à des problèmes de santé systémiques, notamment les maladies cardiaques, le diabète, le cancer et la maladie d’Alzheimer, des recherches sont continuellement menées pour mieux comprendre ses causes. À cette fin, une nouvelle étude japonaise a examiné les associations entre les polymorphismes génétiques - le type de variation génétique humaine le plus courant -, les statuts du microbiome oral et le développement de la maladie parodontale. L’étude a été menée par une équipe de chercheurs répartis dans plusieurs universités japonaises. Ils ont d’abord réalisé une analyse transversale au cours de laquelle ils ont analysé le génotype de 14 539 participants et effectué un prélève- ment de salive sur un groupe de 385 personnes. De ce groupe, 22 indivi- dus ont été retenus pour l’étude et divisés en un groupe parodontite et un groupe contrôle en fonction de leur statut parodontal. Dans un communiqué de presse, les chercheurs ont expliqué que le développement des infections, orales ou autres, est affecté par les différences génétiques entre les individus, car ces différences peuvent affecter la sensibilité à certains agents pathogènes et la probabilité de contracter certaines maladies. “Plusieurs études sur la parodon- tite ont montré que le développe- ment de la maladie est associé à la nature du microbiome oral ainsi qu’au polymorphisme génétique”, a déclaré le Dr Naoki Toyama, profes- seur adjoint au département de dentisterie préventive de l’Université d’Okayama. “Cependant, il n’existe aucune étude qui évalue simultanément l’importance de ces deux facteurs de risque dans le développement de la maladie.” Après examen, l’équipe de recherche a constaté que la diversité bêta des microbes - le rapport entre la diversité des espèces microbiennes régionales et locales - était signifi- cativement différente entre le groupe parodontite et le groupe témoin. Deux familles de bactéries (Lactoba- cillaceae et Desulfobulbaceae), ainsi que la bactérie Porphyromonas gingivalis, ont été trouvées unique- ment dans le groupe parodontite. Cependant, aucune relation n’a été trouvée entre le polymorphisme génétique et le statut parodontal, ce qui suggère que la composition du microbiome oral joue un rôle plus important que les gènes dans la santé parodontale. “Le fait que la prévalence de la parodontite soit associée aux membres du microbiome plutôt qu’à l’identité génétique de l’individu motiverait les cliniciens à accorder plus d’attention à la composition du microbiome qu’aux facteurs de l’hôte dans le travail de routine de l’examen parodontal, et à concevoir une stratégie de traitement person- nalisée pour la parodontite”, a commenté le Dr Toyama. L’étude, ‘Comprehen- sive analysis of risk factors for periodontitis focusing on the saliva microbiome and polymorphism’, a été publiée en ligne le 14 juin 2021 dans l’International Journal of Environ- mental Research and Public Health. intitulée