6 PRATIQUE DENTAL TRIBUNE ÉDITION BELGE JUIN 2021 S’éloigner de l’expérimentation animale en odontologie IVETA RAMONAITE, DENTAL TRIBUNE INTERNATIONAL Cet article est extrait de Chirur- gie Tribune Édition Française vol. 13, no. 4. la L’utilisation de modèles animaux la recherche dentaire, en dans particulier dans recherche parodontale et péri-implantaire pour tester les performances des implants dentaires, présente de nombreux avantages et contribue à faire progresser le domaine. Toutefois, les professionnels du secteur dentaire sont de plus en plus conscients des inconvénients des tests sur les animaux, notamment des questions concernant l’éthique et l’applica- bilité des résultats aux humains. Par conséquent, la communauté scientifique dentaire a déployé beaucoup d’efforts pour amélio- rer la qualité de la recherche sur les animaux en odontologie et pour développer des méthodes alterna- tives qui n’impliquent pas de cruauté envers les animaux – un sujet qui a fait l’objet d’une importante contro- verse dans la recherche dentaire. Dans la société actuelle, un nombre croissant de personnes s’abstien- nent de consommer des produits d’origine animale, et les marques de cosmétiques se tournent vers des produits et des campagnes sans cruauté, afin de se conformer à la réglementation européenne contre l’expérimentation animale, de suivre le mouvement végétalien mondial et d’assurer le succès des ventes. Bien qu’il soit difficile d’estimer le nombre total de personnes qui suivent un mode de vie végétalien, selon un article publié dans WTVOX, il y a environ 78 millions de végétaliens dans le monde. Selon la Vegan Society, les statistiques de Google montrent que l’intérêt pour le végétalisme a été multiplié par sept entre 2014 et 2019. L’organisation caritative a noté que l’Allemagne est l’un des leaders mondiaux en matière de développement et de lancement de produits végétaliens. Selon la même source, le pays d’Europe occidentale a représenté 15% des introductions mondiales de produits végétaliens entre juillet 2017 et juin 2018. En France, les chiffres de 2019 du site d’analyse de marchés en ligne XERFI indiquent que 2% de la population était végétalienne et ce nombre continue d’augmenter. Alors que le grand public et les puissants organes directeurs sont de plus en plus sensibilisés à la question et que des règles juridiques strictes sont en place pour régir l’expérimentation animale, l’utilisation d’animaux à des fins de recherche est encore si répandue. Motifs de l’expérimentation ani- male dans la recherche dentaire Selon un éditorial publié dans l’Inter- national Endodontic Journal en 20191, on estime que 115 millions d’animaux sont utilisés à des fins de recherche dans le monde chaque année, principalement aux États-Unis, au Japon, en Chine, en Australie, en France, au Canada, au Royaume- Uni, en Allemagne et au Brésil. Les espèces animales les plus couram- ment expérimentées dans le cadre de la recherche dentaire sont les rongeurs, comme les souris et les rats, ainsi que les chiens, les porcs et les singes. L’utilisation de rats et de souris dans la recherche est privilé- giée par de nombreux chercheurs en raison de leur rentabilité et de leur grande reproductibilité en tant que modèles animaux. Selon une étude publiée par Staubli et coll.2, les modèles animaux sont particulièrement utilisés dans les expériences sur les parodontes et les implants dentaires, pour tester la biocompatibilité des nouveaux matériaux avant qu’ils ne soient utilisés chez l’homme. L’utilisation de modèles animaux peut également aider à mieux comprendre la pathogenèse des maladies bucco-dentaires et des anomalies dentomaxillo-faciales. Par exemple, les chercheurs mènent souvent des expériences dentaires sur des chiens, afin de détermi- ner la qualité de la cicatrisation d’un implant in situ et la manière dont il affecte les tissus environ- nants. Cependant, les expériences d’implants dentaires sur les chiens ont récemment fait l’objet d’une attention considérable de la part des médias, et un grand nombre de personnes de tous horizons – et pas seulement des militants des droits des animaux – ont remis en question l’éthique des expériences dentaires sur les chiens3. Des modèles sur animaux peuvent également être utilisés pour mesurer l’efficacité de certains médicaments et pour déterminer la pertinence des traitements. Cependant, diverses études suggèrent qu’il n’existe pas de modèle animal unique qui puisse être un bon prédicteur de toutes les conditions humaines, et différentes spécialités en dentis- terie expérimentent sur différents modèles animaux selon l’objectif de la recherche. Moralité et éthique de l’expérimentation animale Il y a quelques mois, Dental Tribune International (DTI) a eu l’occasion de s’entretenir avec l’un des représen- tants de People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) au sujet de son travail concernant les expériences sur les animaux dans la formation et la recherche en odontologie. La biologiste Anne Meinert de PETA Allemagne a déclaré à DTI qu’en 2013, PETA India était impliqué dans la décision du Conseil dentaire indien, pour mettre fin à l’utilisa- tion d’animaux dans la formation dentaire en Inde, dans tout le pays. «À la place de faire souffrir les animaux, les collèges dentaires en Inde utilisent maintenant des méthodes non animales supérieures et humaines, telles que des modèles d’apprentissage assistés par ordina- teur, des exercices cliniques et des techniques de formation à la techno- logie de simulation de patients humains ,qui sont déjà utilisées dans les meilleures écoles de médecine du monde entier», a-t-elle noté. PETA est l’un des plus importants défenseurs du bien-être animal dans le monde. La société a pour objectif de dénoncer et de traiter la souffrance des animaux non seulement dans les laboratoires, mais aussi dans l’industrie alimentaire, le commerce des vêtements et l’industrie du divertissement. «La devise de PETA dit, en partie, que les animaux ne nous appartiennent pas et nous ne pouvons donc les utiliser pour faire des expériences», a commenté Anne Meinert. Elle estime que la réalisa- tion d’expériences dentaires sur des animaux est dépassée et démontre une résistance au changement, malgré les avantages scientifiques et autres. Plus important encore, elle affirme que les résultats de ces expériences sont souvent inexacts, car ils ne peuvent pas être appliqués aux humains: «Découper et tuer des êtres sensibles pour l’entraînement et la recherche dentaire est cruel et archaïque, ainsi que non scientifique, étant donné les différences anato - miques et physiologiques importantes entre les espèces». Dans le but de faire progresser la médecine et la science, les scienti- fiques des filiales internationales de PETA ont élaboré le Research Moderni- sation Deal4, qui propose un guide politique pour la mise en œuvre de méthodes non animales, pertinentes pour la santé humaine. «Il est temps de s’éloigner du paradigme de l’expé- rimentation animale qui a échoué et d’adopter la vraie science», a conclu Anne Meinert. Sensibilisation de la communauté scientifique dentaire L’utilisation d’animaux à des fins de recherche est régie par des lignes directrices explicites et strictes, bien qu’elles varient considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, aux États-Unis, chaque établissement de recherche utilisant des espèces animales doit mettre en place un comité institutionnel de soins et d’utilisation des animaux, pour examiner tous les protocoles expéri- mentaux impliquant des animaux vivants à sang chaud, en s’assu- rant que chaque protocole animal comprend: (1) Une justification de l’utilisa- tion des animaux, le nombre d’animaux à utiliser et l’espèce choisie; (2) les procédures/les médicaments à utiliser pour éliminer ou minimi- ser la douleur et l’inconfort chez les animaux; (3) une description des méthodes et des sources utilisées pour rechercher des alternatives aux procédures douloureuses; et (4) une description de la recherche utilisée pour s’assurer que l’expé- rience ne reproduit pas inutile- ment des recherches antérieures. Même si certaines études doivent utiliser des modèles animaux pour mieux comprendre les mécanismes des maladies humaines et pour trouver des options de traitement appropriées, dans de nombreux domaines, comme l’endodontie, il convient d’examiner attentive- ment si les études sur les animaux sont appropriées et si les réponses apportées par la recherche, peuvent être fournies d’une autre manière. Les études animales sont toujours considérées comme essentielles pour certaines questions susceptibles d’amélio- rer la santé humaine. Toutefois, le centre néerlandais Systematic Review Center for Laboratory animal Experi- mentation a souligné que la majo - rité des premiers essais cliniques de nouveaux médicaments échouent, comprendre Andrew R. Wheeler recherchait activement des alternatives scientifiquement prouvées à l’expérimentation animale dans son rôle d’administrateur de l’Agence américaine de protection de l’environnement. (PHOTO: AL DRAGO) car les animaux utilisés pour les expérimentations sont souvent utilisés de manière inefficace ou inutile. Cela peut mettre en danger la santé des patients et constituer une perte de temps et d’argent. Pour faire progresser le processus de déclaration des recherches utilisant des animaux, les scientifiques ont élaboré des lignes directrices, dont ARRIVE (Recherche animale: rapport d’expériences in vivo – Animal Research: Reporting In Vivo Experiments) et les 3R (Remplacement, Réduction et Raffinement – Replacement, Reduction and Refinement ), qui visent à aider les chercheurs à effectuer des recherches sur les animaux plus humaines, et à synthétiser correctement les résultats de la recherche. En outre, il existe des directives éthiques utiles, comme celles publiées par l’Asso- ciation américaine de psychologie (American Psychological Association – APA)5, qui offre des conseils sur le bien-être des animaux utilisés dans la recherche. Ces lignes directrices soutiennent la recherche de haute qualité, en veillant à ce que les chercheurs suivent un raisonne- ment solide et que les méthodes utilisées soient appropriées sur le plan scientifique, technique et humain. Lors d’un entretien sur l’expéri- mentation animale en odontolo- gie avec DTI, le professeur Clemens Walter, directeur du programme de troisième cycle en parodontolo- gie du centre de médecine dentaire de l’université de Bâle en Suisse, a déclaré: «Récemment, la sensibilisa- tion de la communauté scientifique dentaire s’est accrue, notamment en ce qui concerne les aspects parodon- taux et les implants dentaires. Plusieurs publications ont évalué de manière critique des études utilisant des animaux». «Ces travaux ont permis de découvrir des questions qui influent sur le risque de préjugé, notamment l’exactitude des estima- tions des effets des traitements et la qualité des rapports, en particu- lier les rapports sur les paramètres de succès de la réplication dans les essais cliniques sur l’homme, ou la qualité méthodologique, c’est-à-dire l’analyse de puissance et le calcul de la taille des échantillons pour les études sur les animaux», a expliqué le Pr. Walter. Dans une étude bibliométrique2, le Pr Walter et ses collègues chercheurs ont voulu explorer les change- ments dans le nombre d’études animales publiées, le nombre moyen d’animaux étudiés, et l’origine des publications entre 1982–83 et 2012–13 dans deux revues parodon- tales représentatives et très bien classées, le Journal of Periodontology et le Journal of Clinical Periodontology. L’analyse a révélé une multiplication par deux du nombre total de publica- tions incluant des expériences sur les animaux dans les revues respectives, sur une période de 30 ans. Tout comme Anne Meinert, le Pr Walter a déclaré à DTI qu’il existe des différences physiologiques et évolutives entre les humains et les animaux et que celles-ci pourraient affecter la validité de la recherche sur les animaux: «Les expériences sur les animaux ne fournissent pas de preuves directes pertinentes pour les maladies parodontales ou péri-implantaires humaines. Pour obtenir ces preuves, elles doivent être reproduites dans des essais cliniques sur l’homme», a-t-il conclu. et facilité percées Rechercher des alternatives scientifiquement prouvées à l’expérimentation animale Les découvertes scientifiques d’aujourd’hui ont grandement la transi- tion des méthodes traditionnelles qui reposent sur l’expérimenta- tion animale, et certaines autori- tés environnementales, comme l’Agence américaine de protection de l’environnement (United States. Environmental Protection Agency – EPA), ont fait preuve d’une grande initia- tive en cherchant à réduire l’expé- rimentation animale. Comme les animaux sont souvent utilisés pour tester des substances chimiques ou des mélanges de celles-ci, ainsi que la toxicité et la biocompatibilité des implants dentaires, par exemple, Andrew R. Wheeler, alors adminis- trateur de l’EPA, a signé en 2019 une directive exigeant de donner la priorité aux alternatives scientifi- quement prouvées par rapport à l’expérimentation animale. Pour y parvenir, l’EPA encourage le dévelop- pement et l’incorporation bien calculée, de méthodes de nouvelle approche (NAMs)6, des stratégies qui ne nécessitent pas de nouveaux tests sur les animaux vertébrés. «C’est une question qui me tient à cœur», a-t-il déclaré à DTI. «Il existe aujourd’hui des avancées scientifiques qui nous permettent de mieux prévoir les risques potentiels, sans avoir recours aux méthodes tradition- nelles qui reposent sur l’expérimen- tation animale». «Avec NAMs, nous Lire la suite en page 7