16 RECHERCHE Prévention Tribune Édition Française | Juin/Juillet 2021 mencer à mieux prendre soin de mes dents. » (P9, femme). « Je crois que j’ai commencé lors de mon premier mal de dents, parce que j’ai eu réel- lement mal. J’ai pensé que si je commençais à me brosser les dents, cela aiderait, et aussi pour mes autres dents, car c’est horrible, ce n’est pas agréable à vivre, et donc j’ai com- mencé à me brosser les dents. » (P25, homme). « ... Avoir des problèmes aussi sérieux que celui-là (douleur dentaire), cela vous pousse à vous occuper de vos..(dents). » (P3, femme). 4 | Discussion La présente étude contribue à améliorer notre compréhension des comportements liés au brossage des dents le matin et le soir, et cette compréhension permettra de conce- voir des interventions efficaces visant à éta- blir le brossage des dents deux fois par jour. En résumé, le comportement lié au brossage des dents chez les adultes semble être auto- matiquement présent chez les personnes qui se brossent les dents régulièrement. En effet, le comportement lié au brossage des dents (surtout le matin) est fortement inté- gré dans les séquences habituelles quoti- diennes personnelles, et déclenché par di- vers stimuli intenses. L’observation selon la- quelle le brossage des dents est un compor- tement automatique les routines, est conforme à la théorie proposée initialement par Aunger.22 intégré dans Le brossage des dents le soir s’est avéré re- lativement moins habituel, peut-être en rai- son d’un manque de routine bien établie, menant à un brossage inconstant avant le coucher. Ceci reflète une étude menée ré- cemment sur le brossage des dents chez les enfants, où l’absence de routines le soir était associée à de mauvais comportements liés au brossage.25 Par conséquent, les futures in- terventions devraient se concentrer sur l’établissement d’une routine du soir stable avant le coucher, et inclure le brossage des dents dans cette séquence d’événements. En variante, le brossage des dents pourrait être associé à un comportement déjà bien établi le soir. Par exemple, la fin du repas du soir pourrait être considérée comme un signal extérieur approprié au brossage des dents, et le brossage habituel établi à la fin du repas. Cette approche exige de la prudence et une future étude, pour s’assurer que l’effi- cacité du brossage n’est pas affectée par d’autres activités, telles que le grignotage ou la consommation de boissons contenant des produits cariogènes après le brossage. Les facteurs de motivation pour la réitéra- tion du comportement sont importants dans l’établissement des habitudes,37 bien que ceux-ci puissent diminuer au fil du temps sans affecter le comportement habi- tuel, puisque l’acte (par exemple, le bros- sage) est finalement déclenché automati- quement par des signaux inconscients.38 Cette étude suggère que les composantes de la motivation des futures interventions de- vraient inclure une raison personnalisée, et pas nécessairement scientifique, au bros- sage des dents. Cet aspect peut être particu- lièrement utile dans le cadre du développe- ment d’interventions sur le brossage des dents, dans les groupes de faible niveau de SSE. Des exemples peuvent être un net- toyage psychologique et physique des charges de la journée. Il existe des éléments probants, sans rapport avec le domaine den- taire, montrant que le rinçage de la bouche apporte des avantages psychologiques aux personnes, car il est aussi efficace qu’une ac- tivité de nettoyage mentale.39, 40 Ceci peut fournir un moyen potentiellement idéal d’encourager le brossage des dents dans les sous-populations qui accordent peu de va- leur à la santé bucco-dentaire. Cette étude est la première recherche sur le comporte- ment lié à la santé bucco-dentaire chez les adultes, et elle peut avoir un impact impor- tant sur les approches interventionnelles. Bien qu’il existe de nombreuses preuves de l’importance du brossage des dents dans l’enfance pour motiver et maintenir le com- portement dans la vie adulte,41 nos données n’ont pas fait ressortir cet aspect. L’une des raisons est peut-être la nature sélective de notre échantillon — ou l’existence d’un signal prédominant de déclenchement du comportement lié au brossage des dents chez les enfants, qui prend la forme d’incita- tions parentales (rappels), plutôt qu’un si- gnal intense propre à l’enfant. Après la dis- parition du rappel parental (signal), le com- portement habituel lié au brossage des dents n’est plus déclenché et mène à l’arrêt de ce comportement dans la vie adulte. Ce raisonnement est à l’appui des faits ressor- tis d’une intervention en milieu scolaire, se- lon laquelle la disparition du signal exté- rieur (c’est-à-dire l’arrêt de la fourniture de brosses à dents ou de dentifrice après la fin de la période scolaire) conduit à une réduc- tion du comportement lié au brossage.42 Il est donc important que les futures in- terventions qui établissent le comporte- ment habituel lié au brossage des dents, se fondent sur l’identification et la considéra- tion de signaux intenses individualisés pour déclencher l’acte. Chez certains adultes, le rétablissement du comporte- ment lié au brossage des dents deux fois par jour requiert un moment critique pour qu’ils agissent. Ces événements remettent en question leur point de vue sur leurs pra- tiques d’hygiène bucco-dentaire existantes. Un changement de comportement a initia- lement été considéré comme un contrôle cognitif conscient, où les personnes doivent se rappeler volontairement de se brosser les dents deux fois par jour. Toutefois, avec le temps, le comportement devient automa- tique et ne requiert plus l’effort de réflexion initial. Ceci est en accord avec la théorie de l’acquisition d’habitudes dans d’autres comportements, tels que la perte de poids.43 Quelques limitations ont pesé sur l’étude. La collecte des données a été restreinte à un seul centre dentaire, et à des participants qui se présentaient aux soins d’urgence, ce qui a pu limiter la transférabilité à d’autres contextes. Une autre approche aurait peut- être été un recrutement dans des cabinets dentaires généraux ou la population géné- rale, ce qui aurait favorisé un échantillon- nage beaucoup plus varié et renforcé la transférabilité. Cependant, nous envisa- gions de recruter un nombre suffisant de participants issus de milieux démunis, qui seraient aussi les personnes les moins sus- ceptibles d’avoir des routines bien établies, telles que le brossage des dents (un facteur majeur), et nous estimions qu’un centre dentaire des urgences était l’environne- ment le plus à même de fournir ce type de participants. Les résultats de cette étude montrent une proportion relativement éle- vée de patients consultant le centre dentaire des urgences, qui ont rapporté des routines de brossage des dents deux fois par jour, et ce dans tout le spectre de statuts socio- économiques. Nous aurions donc pu avoir des difficultés à recruter suffisamment de participants ayant des routines de brossage des dents irrégulier si nous avions mené l’étude dans un contexte de cabinet den- taire. Dans la mesure où le recrutement était opportuniste dans ces centres, il n’a été possible de passer un temps énorme à re- cruter les participants sur le terrain, afin de construire de bonnes relations et un climat de confiance maximal, permettant aux in- formateurs d’expliquer tous les détails, peut-être sensibles, sur les routines quoti- diennes et les habitudes d’hygiène person- nelles. De plus, les participants souhaitaient que les entrevues se déroulent dans le centre de soins d’urgence, et ceci a pu limi- ter la propension des participants à révéler ou à donner des réponses socialement indé- sirables sur le brossage des dents. Il n’a éga- lement pas été possible de réaliser une véri- fication des inscriptions avec les informa- teurs, ni de procéder à un double contrôle des interprétations des chercheurs, puisque l’étude n’impliquait aucun contact de suivi avec les participants. Néanmoins, certaines mesures ont été prises pour assurer la cré- dibilité, notamment une vérification de toutes les données pour garantir l’absence de tout conflit ou incohérence interne, une triangulation du codage des données impli- quant de multiples chercheurs et un débrie- fing entre pairs.44 La fourniture d’une solide description des méthodes et du contexte, le maintien d’une piste d’audit du processus de recherche ainsi que d’un journal réflexif, et la réalisation d’un échantillonnage dirigé et théorique ont facilité la transférabilité.44 Cependant, cette étude étant une recherche qualitative visant à élaborer des questions et des hypothèses de recherche,45 et la pre- mière de ce type, elle apporte certains élé- ments probants importants et nouveaux sur le comportement lié au brossage des dents. Cette étude visait uniquement à produire des histoires de patients sur le comporte- ment lié au brossage des dents, bien qu’il soit connu que d’autres aspects des routines quotidiennes, telles que les habitudes de consommation de sucre, de nettoyage in- terdentaire, de visite chez le dentiste, de tabagisme et de consommation d’alcool, ont également une incidence sur la santé bucco- dentaire, mais ces aspects étaient hors de la portée de cette étude. Dans la mesure où peu d’études ont été menées sur la nature auto- matique des comportements liés à la santé bucco-dentaire et où nous savons que les comportements complexes atteignent des niveaux d’automaticité inférieurs à ceux des comportements simples,29 nous avons déci- dé de limiter cette recherche au brossage des dents puisqu’il représentait le plus simple des comportements à étudier, et qu’il est également très courant. Il est probable que des comportements plus complexes, tels que la consommation de sucre, exigeraient la conception d’interventions plus élabo- rées, et il est possible que la théorie des habi- tudes puisse seulement s’appliquer à une partie des séquences compor tementales concernées. Néanmoins, ces autres compor- tements restent de futurs domaines impor- tants à étudier sous cet angle. Par exemple, un examen systématique de la recherche de soins de santé montre que très peu d’études ont été réalisées sur ce sujet.46 Notre étude démontre que le brossage des dents chez les adultes est un comporte- ment automatique. Elle démontre égale- ment l’importance du contexte environne- mental (la présence de signaux visuels, comme une brosse à dents dans la salle de bain), bien que le comportement puisse être si intégré dans des scénarios de routines personnelles qu’il est maintenu lors de voyages, ou durant le travail par roulement — lorsque l’environnement s’est modifié. L’interaction entre le contexte social/envi- ronnemental et les routines personnelles est un futur sujet important d’étude — sur- tout parce qu’une étude antérieure chez les adultes a conclu que les personnes dont les routines sont les plus régulières et les moins souples sont celles qui se brossent les dents moins souvent.23 Ce point a son importance si l’on considère que les programmes en- courageant la santé bucco-dentaire pour- raient contribuer à atténuer les effets des différences socio-économiques et réduire les inégalités en matière de santé. Il reste également à évaluer si les interventions qui portent explicitement sur le brossage des dents en tant que routine sont plus efficaces que les autres.22 Ces interventions pour- raient notamment consister à introduire une « scène » de brossage des dents dans une routine du soir, mais devraient proba- blement impliquer l’utilisation de signaux visuels (par exemple une note sur le réfrigé- rateur), et des éléments motivants (par exemple un brossage la journée). En conclusion, la présente étude contri- bue à la compréhension de la nature du comportement lié au brossage des dents, qui semble, une fois établi, être accompli de façon habituelle. Cependant, il existe peut- être un besoin de commencer à envisager le comportement lié au brossage des dents le matin, séparément de celui du soir lors de la conception de futures interventions. En rai- son des différences notables dans les si- gnaux déclencheurs du comportement et les facteurs de motivation permettant la ré- itération du comportement identifié, la conception ultérieure des interventions de- vrait ajuster le comportement spécifique ci- blé. Les composantes importantes devraient consister à identifier les signaux intenses déclenchant le brossage des dents et les fac- teurs de motivation appropriés menant à la répétition du comportement. Remerciements Ce travail a reçu l’appui de l’ODRT (Oral and dental research trust) dans le cadre du pro- gramme d’octroi de bourses de recherche GlaxoSmithKline, en 2014. Conflit d’intérêts Aucun conflit d’intérêts n’a été signalé. Contributions des auteurs Dr Heather Raison : conception, acquisition des données et interprétation, réalisation des analyses, rédaction et examen critique du manuscrit. Professor Rhiannon Corcoran : conception, interprétation des données, rédaction et exa- men critique du manuscript. Professor Rebecca Harris : conception, inter- prétation des données et analyse, rédaction et examen critique du manuscript. Avis de disponibilité des données Les données de la recherche ne sont pas communiquées. ORCID Heather Raison https://orcid.org/0000-0001-5978-870X Informations relatives au financement Oral and dental research trust, dans le cadre du programme d’octroi de bourses de re- cherche GlaxoSmithKline, 2014, Numéro d’octroi/subvention : 2014. Note de la rédaction : une liste complète des références est disponible auprès de l’éditeur. Cet article en libre accès est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Com- mons Attribution, qui en autorise l’utilisa- tion, la distribution et la reproduction sur tout support, à condition que l’œuvre origi- nale soit dûment citée. © 2021 The Authors. Community Dentistry and Oral Epidemiolo- gy publié par John Wiley & Sons Ltd.