6 RECHERCHE Dental Tribune Édition Française | Avril 2021 Langue Covid – les dentistes sont invités à rester attentifs aux symptômes de la cavité buccale Jeremy Booth, Dental Tribune International Des recherches actuelles suggèrent qu’un grand nombre de patients atteints de Covid-19 présentent des symptômes dans la cavité buccale qui ne sont pas encore recon- nus comme des signes typiques de la mala- die. La langue géographique – que l’on ap- pelle « langue Covid » – a été observée chez les personnes atteintes de Covid-19, tout comme les lésions herpétiques et l’ulcéra- tion aphteuse buccale. Selon les directives de l’Organisation mondiale de la santé, les trois symptômes les plus courants de la Covid-19 sont la fièvre, une toux sèche et la fatigue. La cavité buccale est impliquée dans certains des symptômes supplémentaires que l’agence de santé publique conseille de surveiller, tels que la perte de goût ou de l’odorat, mais elle ne mentionne pas actuellement d’autres manifestations buccales. Le Dr Tim Spector, professeur d’épidé- miologie génétique au King’s College Lon- don, a attiré l’attention sur les symptômes de la Covid-19 qui se présentent dans la bouche, comme par exemple la langue géo- graphique. Il affirme que les personnes souffrant de « symptômes étranges » comme la langue Covid, devraient rester chez elles, même si les symptômes ne figurent pas sur les listes officielles fournies par les autorités sanitaires. Le Dr Spector a tweeté en janvier : « Une personne sur cinq qui souffre de Covid présente encore des symptômes moins courants qui ne figurent pas sur la liste officielle [de la santé publique an- glaise], comme les éruptions cutanées ». Il a déclaré qu’il voyait un nombre croissant d’exemples de langue Covid et d’autres aphtes étranges. En janvier, le Dr Spector a fait figurer sur Twitter de nombreuses images de langues suspectes Covid présentées par le public. Le 27 janvier, il a partagé une image de la langue d’une personne de 32 ans présentant des effets Covid-19 à long terme. En effet, elle souffrait de macroglossie avec des fes- tons sur les bords de la langue. Selon le Dr Spector, les spécialistes ne pouvaient pas en déterminer la cause. Le Dr Lucy Davenport- Jones, une orthodontiste consultante de Londres, a répondu au tweet du Dr Spector, confirmant que l’ulcération aphteuse buc- cale apparaissait comme une plainte cou- rante. Selon le Dr Spector, le chercheur principal de l’application mobile Covid Symptom Study, qui permet à ses utilisateurs (au- jourd’hui plus de quatre millions) de four- nir des données sur le virus. Au moins 20 symptômes de Covid-19 ne sont pas cou- ramment pris en compte. Selon lui, 35 % des personnes présentent au cours des trois premiers jours, période la plus contagieuse, des symptômes non classiques. Covid-19 du point de vue d’un dentiste En Iran, des chercheurs ont examiné les effets de la maladie sur la cavité buccale dans le cadre d’une revue de 17 études. Ils ont découvert que 170 patients, âgés de 9 à 90 ans, avaient développé des manifesta- tions buccales. La plus courante était la xérostomie (signalée dans 75 cas), suivie de la dysgueusie (71 cas) et de la candidose (67 cas). Sur les 67 cas où la candidose a été identifiée, des échantillons prélevés sur 55 des patients ont confirmé une infection fon- gique. Une modification de la sensation de la langue a été signalée par 48 patients, dont 28 souffraient d’ulcères douloureux dans la région. Des douleurs musculaires lors de la mastication ont été signalées par quinze pa- tients, et dix patients présentaient un gon- flement de la cavité buccale. Selon l’étude, une modification de la sensation de la langue est fortement corrélée à un gonfle- ment du palais et à des modifications de la candidose. Les auteurs ont identifié six cas d’herpès simplex récurrents, deux sur la cycle en orthodontie de la faculté dentaire de l’université des sciences médicales de Guilan en Iran, a insisté sur l’ importance pour les dentistes de vérifier les symptômes de la Covid-19 dans la cavité buccale. Lors d’un entretien avec Dental Tribune Interna- tional, elle a déclaré : « Il est certain que la connaissance des symptômes, en particu- lier des manifestations buccales, est impor- tante pour identifier et gérer les patients Covid-19, mais aussi pour protéger le den- tiste et les autres patients dentaires. Pour cette raison, il est primordial que les den- révélé qu’un quart des patients présen- taient un ou plusieurs symptômes dans la cavité buccale. L’étude a été menée dans un hôpital de campagne temporaire, créé pour traiter les cas légers à modérés de pneumo- nie associée au Covid-19, pendant le pic des infections par le SARS-CoV-2 à Madrid. Elle a porté sur 666 patients qui avaient soit un test positif de réaction en chaîne de la poly- mérase de transcription inverse, soit une pneumonie bilatérale. Selon l’étude, des symptômes dans la ca- vité buccale étaient présents dans 78 cas © evgenii mitroshin/Shutterstock.com Premier signe de coronavirus, plaque blanche saillante sur la langue, en gros plan. langue et quatre sur le palais dur. « Quatre patients ont développé des éruptions de type érythème multiforme, dont trois avaient des macules et pétéchies palatines. Des érosions, des érythèmes, des ulcères, des parodontites ulcéreuses nécrosantes et des lésions de type aphtalmique ont égale- ment été observés dans des cas isolés », peut-on lire dans l’étude. L’apparition des manifestations orales a été détaillée dans 95 cas sur un total de 170, et les chercheurs ont trouvé une moyenne de 7,21 jours entre l’apparition des symp- tômes systémiques et celle des manifesta- tions orales. Ces dernières survenaient de dix à quarante-deux jours après les symp- tômes systémiques. Les auteurs ont conclu : « Les symptômes buccaux apparaissent souvent après des symptômes généraux tels que la fièvre et l’asthénie, mais peuvent être dans certains cas le premier ou seul signe de Covid-19. Un examen clinique intraoral minutieux doit donc être effectué sur les patients positifs au Covid-19 et également sur tout patient nécessitant des soins dentaires de manière approfondie et systématique, afin de s’assu- rer qu’aucun élément ne manque et ainsi obtenir des données cliniques supplémen- taires, ce qui pourrait ouvrir la voie à des études complémentaires ». tistes se tiennent au courant des dernières recherches et connaissances sur les symp- tômes muqueux de la Covid-19. Un examen clinique intraoral minutieux doit être effec- tué avant tout autre traitement dentaire lors de chaque visite ». Selon le Dr Hossein- zadeh, l’étude a montré que les symptômes Covid-19 dans la cavité buccale sont multi- factoriels. Cependant il est certain que le système immunitaire joue un rôle impor- tant. « La médecine, le stress, les infections opportunistes comme candida albicans et l’herpès simplex, ainsi que le virus, pour- raient être considérés comme des facteurs possibles », a-t-elle déclaré. « Il convient de mentionner que ces manifestations orales pourraient être les seuls signes de Covid-19, et qu’elles sont également susceptibles de se manifester avant les symptômes géné- raux ». Les résultats ont été présentés dans un article de synthèse, intitulé COVID-19 from the perspective of dentists : A case re- port and brief review of more than 170 cases, publié en ligne le 26 décembre 2020 dans Dermatologic Therapy, avant d’être inclus dans un numéro. Une étude espagnole révèle qu’un quart des patients Covid-19 présentaient des symptômes buccaux L’auteur correspondant, le Dr Pegah Hos- seinzadeh, résident diplômé de troisième Une étude transversale menée par des dermatologues en Espagne en avril 2020 a (25,7 %), et les auteurs les ont énumérés comme suit : papillite linguale transitoire (11,5 %), glossite avec indentations latérales (6,6 %), stomatite aphteuse (6,9 %), glossite avec dépapilation inégale (3,9 %) et mucosi- té (3,9 %). Une sensation de brûlure dans la cavité buccale a été rapportée par 5,3 % des participants et s’est avérée être couram- ment associée à la dysgueusie. L’étude, présentée dans une lettre de re- cherche publiée en ligne dans le British Jour- nal of Dermatology, indique que des symp- tômes dans la cavité buccale tels que la glos- site ou la papillite n’avaient pas été associés auparavant à la Covid-19, mais émet l’hypo- thèse que le risque de contagion lié à l’exa- men de la cavité buccale a pu empêcher un examen approfondi de la cavité buccale des patients traités par la Covid-19. Les auteurs ont reconnu les limites de l’étude, à savoir que tous les participants à l’étude étaient des adultes souffrant seule- ment d’une pneumonie légère à modérée due à la Covid-19 et que l’étude a été me- née sur une période de deux semaines ; ainsi, les chercheurs ont pu passer à côté de symptômes antérieurs ou ultérieurs de la maladie. Malgré ces limitations, les au- teurs ont déclaré : « La cavité buccale était fréquemment touchée et mérite un exa- men spécifique dans des circonstances ap- propriées pour éviter le risque de conta- gion ».