4 INFOS NATIONALES DENTAL TRIBUNE ÉDITION BELGE FÉVRIER 2021 Regroupement des dentistes: une tendance qui s’affirme de plus en plus TEXTE: VINCENT LIÉVIN Ils décident de travailler ensemble dans des sociétés connues ou dans des cabinets plus familiaux. La tendance connaît déjà une forte croissance dans d’autres pays. État des lieux. L’exercice en groupe se développe de plus en plus dans les cabinets dentaires. Même si la pratique traditionnelle et dominante reste en solo, la profession fait face à de nombreuses mutations. La tendance au regroupement des professions médicales est réelle. Elle offre davantage de souplesse, de confort et de liberté dans la gestion du temps. Elle permet d’enga- ger plus facilement du personnel (secrétaires et assistants dentaires) pour gérer les tâches administra- tives et la stérilisation du matériel par exemple. Dans ce type d’envi- ronnement, principalement en ville, chaque praticien peut apporter ses compétences dans un domaine précis. Par ailleurs, l’exercice avec d’autres chirurgiens-dentistes facilite l’acquisition et l’amortisse- ment d’équipements coûteux, tels que l’appareil pour les radiographies panoramiques, la chaîne de stérili- sation... Il offre également l’opportu- nité de mutualiser les frais courants comme l’électricité, la formation et le management du personnel. Lorsque le groupe est composé de jeunes praticiens et d’autres plus expérimentés, cela permet aussi un partage et une continuité dans la formation sur le terrain. Tandis que la tendance à la spécialisation permet une complémentarité des soins entre les différents praticiens. Les grandes villes pour cible En dehors des groupements locaux, certaines sociétés se spécialisent dans ce rapprochement, comme Odontolia, qui compte plus de 25 cliniques et cabinets dans toute la Belgique, et qui insiste sur «le partage des savoirs entre les différents praticiens et le soutien des équipes de gestion pour tous les aspects qui n’ont pas de rapport avec la dentisterie», ou Dentius qui, cette année, dans une récente newsletter, a annoncé la création de 10 nouvelles structures, alors qu’elle dispose actuellement de 50 cabinets (Anvers, Bruxelles, Limbourg, Flandre orientale, Flandre occiden- tale, Liège, Hainaut). Les structures les plus récentes ont été ouvertes à Charleroi, Etterbeek, Uccle ou encore Villers-le-Bouillet par exemple. Boris Bontemps, Managing Director chez Dentius, reconnaît que «le secteur est en plein développement. L’émer- gence des cabinets de groupe répond à différents besoins sur le terrain exprimés par les dentistes». Pour ces différentes sociétés, la volonté est de permettre au dentiste d’accomplir ce qu’il aime le mieux, nous dit un autre acteur du secteur: «Un dentiste ne doit plus être à la fois un gérant, un spécialiste des ressources humaines, se concen- trer sur le paiement des factures, veiller au financement, dénicher un accord avec les banques... Il peut se consacrer à son art». V O H C A G L O D / F R 3 2 1 : O T O H P Il est difficile de dire combien la Belgique compte de cabinets de groupe. En 2015, un rapport d’un cabinet d’audit évoquait 1% de cabinets de groupe. On est évidem- ment aujourd’hui bien au-delà de ce chiffre, mais il n’existe pas de décompte officiel. À la sortie de l’université Mais qui sont ces dentistes à l’esprit de groupe? Nadia, 28 ans, travaille en Wallonie: «Je suis entrée immédia- tement dans un cabinet de groupe. Je n’avais pas envie et surtout pas les moyens financiers de m’équiper avec un matériel de qualité. Je ne voulais pas m’endetter». Elle n’a pas intégré l’une des grandes structures actuelles: «Non, mais j’aurais pu. J’ai plutôt opté pour une structure en ville avec 7 dentistes indépendants. Je ne me voyais pas travailler toute seule. On échange sur nos pratiques. Je suis aussi d’autres formations. J’ai pu ainsi entrer en douceur dans le monde professionnel». Aujourd’hui, la plupart des dentistes tentés par la pratique de groupe sortent en effet directement de l’université. Ils entendent faire face autrement à la réalité financière de l’investissement d’un premier cabinet. Le prix de la technologie est plus facile à assumer à plusieurs dans une grande structure. Ils tiennent aussi compte de la spécialisation du métier. Les dentistes partagent leurs compétences. «Enfin, il y a de plus en plus de femmes dentistes qui veulent une autre vie professionnelle et souhaitent dès lors travailler en équipe», nous précise un autre acteur du secteur qui possède plusieurs cabinets. Seule, puis en groupe Justement, au Centre de Santé Dentaire de Mons, créé en 2014 par la dentiste Lorène Bollens, la réflexion à ce sujet est très intéressante. Après ses études à l’UCL et quelques années de pratique dans des cabinets de groupe, elle crée un centre dans une première structure à Ghlin, une section de la ville de Mons. En 2017, le centre emménage dans des bâtiments refaits à neuf. L’aménage- ment de la clinique est pensé avec le plus grand soin afin de maximiser le confort des dentistes et des patients. «Je me souviens de mes débuts. Nous étions dans les premières années où il fallait faire une année de stage. Quand on est diplômé, on n’a pas encore l’expérience ni les finances pour s’installer tout seul. Il y a un côté agréable et rassurant dans le travail en groupe.» Pour son stage, Lorène Bollens commence chez un dentiste, avec deux fauteuils. «Je me suis rendu compte que j’aimais la pratique de groupe. Trois ans plus tard, j’ai lancé seule un cabinet avec une assistante.» Rapidement, elle a l’opportunité de proposer une structure plus grande avec deux, puis trois et, maintenant, quatre fauteuils. «Le nerf de la guerre aujourd’hui est de trouver des dentistes. L’équipe s’agrandit. Nous avons un stomato qui travaille depuis 4 ans. J’ai des dentistes à temps plein et deux stagiaires.» Lorène Bollens insiste sur l’ambiance positive et qualitative: «Chez nous, nous aimons bien prendre notre temps avec chaque patient. Au moins trois quarts d’heure pour le premier rendez-vous. Et nous aimons expliquer les aspects de prévention en matière de santé buccodentaire. Nous rappelons au patient comment bien se brosser les dents». La relation humaine est fondamentale pour elle. «J’aime le contact avec le patient et avec l’équipe. Nous voyons les choses de la même manière. Nous avons des assistantes qui nous aident beaucoup. Par ailleurs, à plusieurs, nous pouvons mieux répartir les congés ou amortir les appareils de radio panoramique et aussi nous enrichir de l’expérience et des compétences des autres (dévitalisa- tion, etc.). Enfin, si nous avons un cas plus compliqué, nous sommes contents d’avoir un regard extérieur. C’est gai et rassurant.» L’expérience et les compétences des autres dentistes nous enrichissent Se concentrer sur son travail Passer d’une pratique individuelle à une pratique collective, Olivier Hospel, dentiste indépendant, l’a fait aussi. Il a rejoint voici deux ans la structure Odontalia dans la région de Charleroi. Il en est très satisfait: «Je peux vraiment me concentrer sur mon métier. C’est ce que je voulais. Il s’agit d’une autre démarche que de travailler seul. Tout le volet administratif est pris en charge par la structure. Il n’y a qu’un comptable. Par ailleurs, nous pouvons avoir du matériel de qualité à un prix plus abordable que si nous étions seuls «Nous dans notre cabinet». Un autre aspect lui plaît aussi. Quand sa journée est terminée, il peut passer à autre chose. Un phénomène qui est con - firmé par un intervenant du secteur: «En dehors des chefs de clinique, les dentistes savent chez nous que lorsqu’ils ferment la porte de leur cabinet, leur journée est terminée. Ils apprécient qu’une autre entité assume la charge et les risques. C’est un confort de vie qui est aussi important pour la nouvelle généra- tion de dentistes». La prise en charge par ce type de clinique offre d’autres opportuni- tés encore, nous glisse un autre manager: intervenons aussi au niveau de la gestion et du management. Par ailleurs, en dehors des dentistes, nous disposons en soutien d’équipes d’assistantes et de ressources humaines back office (RDV, paiement, salaire...)». La taille de ces cabinets de groupe reste évidemment très variable: «Il faut dissocier groupement et cabinet de groupe. Il peut y avoir 5 ou 10 dentistes dans certains cabinets. Suivant la ville, la taille des cabinets de groupe varie. Près des pôles universitaires et dans les grandes villes, la densité de patients et de dentistes est plus élevée. Il y a aussi aujourd’hui toute une série de dentistes d’anciennes générations qui travaillent seuls ou en partie pour un groupement ou un cabinet de groupe», nous précise un autre interlocuteur. Un métier qui coûte cher Pour Michel Devriese, porte-parole de la Société de Médecine Dentaire asbl, la réalité financière ne peut en effet pas être oubliée: «Les dentistes investissent dans leur outil de travail via des emprunts bancaires. Le prix des appartements ou des bureaux est de plus en plus élevé en ville. Il faut en outre prévoir des travaux d’aménagement difficilement compatibles avec les locations». le travail Cette évolution vers en groupe et en collaboration se comprend dès lors d’autant plus: «Cela permet de partager les équipements lourds et le person- nel administratif. Par ailleurs, la médecine dentaire est de plus en plus spécialisée et les cabinets multidis- ciplinaires permettent plus de diver- sité de compétences. Il y a aussi une augmentation de la féminisation de la profession et les femmes plus jeunes n’ont pas toujours envie de s’endetter». Le dentiste doit toujours garder la gestion médicale Sur le terrain, en discutant avec les dentistes, notre interlocuteur perçoit ce changement: «Il y a des groupes comme Dentius, Odonta- lia, mais il y a aussi des groupes financiers en quête de rendements à deux chiffres qui ont trouvé un secteur qui fonctionne bien. Ils rachètent des cabinets dentaires». Face à ce phénomène, il prend toutefois un peu de recul: «On porte aussi un regard sur notre sécu - rité sociale qui est financée par les cotisations sociales des travailleurs et pas pour rémunérer des capitaux. Cela pourrait devenir une dérive. On aurait dû prendre des mesures pour réglementer cela. Il y a 21 ans, nous nous en étions inquiétés. Un projet de loi a été rédigé pour réserver la propriété d’un cabinet dentaire à un praticien dentaire. Il avait été accepté en première lecture, mais retiré en seconde lecture sous l’influence des coopératives pharmaceutiques. C’est une mesure qui existe dans d’autres pays». Il faut réserver la propriété d’un cabinet dentaire à un praticien dentaire Un vade-mecum des collaborations Ce phénomène ne s’arrêtera plus. Michel Devriese en est conscient: «La Belgique aura la médecine dentaire qu’elle méritera. Le monde politique n’a pas jugé bon de réguler. Nous avons des faiblesses par rapport aux médecins. Dans un cabinet de groupe, le responsable doit être un dentiste... C’est essentiel. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que chez nous, il n’y a toujours pas d’ordre des dentistes et cela nous dessert aussi». Il pointe du doigt certains problèmes qui parfois remontent du terrain: «Je ne doute pas qu’il y ait des avantages (groupement d’achat, gestion centralisée du personnel...), mais nous avons déjà eu des retours négatifs. Même si les conditions sont parfois attractives, il arrive que des praticiens travaillent sans contrat écrit, ou encore que des dentistes quittent ce type de mouvement ou d’association. Nous avons rédigé un vade-mecum des collaborations avec toutes les mauvaises expériences». Le porte-parole de la SMD donne un conseil à ceux qui sont tentés par l’aventure: «Nous sommes une association professionnelle. Nous ne sommes pas un ordre. Les praticiens sont majeurs et doivent négocier individuellement leur collaboration. Ils doivent faire établir un contrat écrit pour se protéger». Il n’y a toujours pas d’ordre des dentistes et cela dessert la profession Pas encore de dérives en Belgique Le phénomène en Belgique doit évidemment rester dans une démarche de santé publique bénéfique pour le patient. Actuel- lement, notre pays se situe très loin des dérives constatées dans d’autres parties du monde. En effet, des sociétés d’investissement privées installent des cabinets dentaires et forment des chaînes. Certains groupes dentaires emploient jusqu’à 1.000 dentistes. Là, le métier change en profondeur. Le législateur devrait peut-être anticiper ce phénomène extrême pour que les pratiques puissent coexister et que le dentiste puisse travailler dans les meilleures conditions pour lui... Mais pas au détriment des soins aux patients, évidemment! toutes