10 INTERVIEW Les «007» en mission DENTAL TRIBUNE ÉDITION BELGE DÉCEMBRE 2020 Union Francophone des Orthodontistes de Belgique (UFOB) TEXTE: HUGUES HENRY / PHOTOS: D.R. Présidente récidiviste de l’UFOB, Cathy Rigaux est en quelque sorte un agent hyper motivé de la cause des dentistes spécialistes en orthodontie, identi- fiables à leur code INAMI: 007. Formation, barèmes, nombre et qualité des praticiens..., les missions à remplir sont nombreuses et parfois préoccu- pantes. Pourrait-on qualifier l’Union Francophone des Orthodontistes de Belgique (UFOB) de syndicat des dentistes spécialistes en orthodontie (DSO)? Cathy Rigaux: Nous sommes en tout cas une union professionnelle, dont l’objet est de défendre et de faire respecter les droits et la profession des DSO, avant d’être une organi- sation scientifique. Nous faisons entendre leur voix aux différents niveaux de pouvoir en Belgique. Et auprès de l’INAMI évidemment, car la nomenclature orthodon- tique n’a plus été révisée depuis bien trop longtemps, à tel point que nous sommes aujourd’hui un pays européen sous-développé en matière d’orthodontie. Une consultation est remboursée, à quelques centimes près, 26 €, soit pour certaines presta - tions moins que les coûts en Nos autorités semblent préférer investir dans les médicaments pour le dos ou l’estomac plutôt que refinancer l’orthodontie matériel engendrés! C’est la raison pour laquelle un conventionné «007» n’existe pour ainsi dire pas, parce que ce n’est juste pas possible. Pour offrir au patient les techniques les plus modernes, un orthodontiste qui s’installe doit acquérir un appareil radio, voire un Cone Beam – coût pour un basique: 50.000 € –, un fauteuil dentaire proche du même prix, un scanner afin de réaliser les empreintes, etc. Soit investir, avant même d’avoir un local ou quoi que ce soit d’autre, près de 200.000 €. Ceci explique pourquoi des spécialistes se regroupent afin de pouvoir proposer un cabinet de pointe, sans quoi cela devient ingérable. Imaginez-vous l’investissement, et ensuite les frais de personnel et de fonctionnement? Le praticien a le droit d’afficher les tarifs qui vont lui permettre de survivre. Alors, allons-nous vers une orthodontie à deux vitesses en Belgique? Car le risque, bien entendu, est de voir en parallèle se pérenniser chez nous une orthodontie de base dans les hôpitaux, limitée à certains traitements, avec des appareils d’avant-guerre et beaucoup d’extrac- tions. Or ce que nous souhaitons, c’est de pouvoir travailler le plus finement possible, dès le plus jeune âge, sachant que tout traitement orthodontique aura un retentis- sement sur l’ensemble du corps du patient. Mais l’INAMI ne nous entend toujours pas à ce propos, privilégiant de ce fait le curatif plutôt que le préventif... comme s’il préférait payer des médicaments pour l’estomac et les maux de dos plutôt que refinancer l’orthodontie. Le biais européen La lutte contre la pénurie d’orthodon- tistes n’est-elle pas une autre de vos missions? C.R.: C’est une catastrophe. Comment s’étonner que, dans certains cabinets à Liège ou à Bruxelles par exemple, vous avez des listes d’attente de 6 mois, voire même jusqu’à 2 ans? Ces deux années perdues, chez les plus jeunes patients, peuvent mener à des traitements plus compliqués une fois qu’ils sont enfin pris en charge... Même si les quotas d’étudiants sont désormais quasi ouverts, les universités n’ont pas les fonds pour assurer la formation d’un plus grand nombre de jeunes gens. Alors ne sont recrutés que les candidats jugés les plus brillants; et si, parmi ceux-ci, il y a par exemple deux Français et un Luxembourgeois, qui souhaitent rentrer chez eux à l’issue de leur cursus, la Belgique aura financé trois étudiants étrangers qui ne viendront pas gonfler les rangs clairsemés de ses orthodontistes... Je comprends bien entendu le parcours de ces étudiants non Belges, a fortiori s’ils n’ont pas trouvé l’âme sœur chez nous (sourire), tout comme je suis consciente que cela ne dépend pas non plus uniquement des universi- tés. Cela repose plus sur la politique européenne en la matière et, surtout, sur le fait que nous n’investissions pas plus dans nos universités afin qu’elles puissent former, et mieux, plus de jeunes gens. Vous évoquez la politique européenne... Ne permettrait-elle pas, justement, par l’accueil d’orthodontistes européens de combler le déficit auquel nous faisons face? C.R.: Le biais, dans ce système européen, c’est que nous assistons actuellement à un afflux massif d’orthodontistes venant de Tunisie ou du Maroc. Ils ne peuvent évidem- ment pas entrer directement en Belgique. Ils passent donc par la Roumanie, le Portugal ou l’Espagne, des pays européens, où ils suivent une formation, et ensuite, avec ce diplôme estampillé européen, ils rentrent dans le circuit belge. C’est pour ainsi dire un parcours normal, compte tenu du fonctionnement européen... Mais ils obtiennent un titre d’orthodontiste chez nous qui ne correspond pas en réalité aux exigences demandées en Belgique! Même au niveau de la Commission d’agrément, dont je suis membre, nous n’avons pas de droit de regard sur ces dossiers qui viennent de l’étranger, pas même afin de pouvoir évaluer leur formation. Ils sont directement envoyés à la signature au secrétariat du ministre de la Santé! Nous ne sommes pas opposés à la libre circulation européenne, mais il y a là un biais grâce auquel un petit passage par les pays précités permet de rentrer en Belgique en ayant le diplôme de spécialiste, ce qui est insupportable. Plus de 30 années de loyaux services • Fin des années 1980, sur les cendres de l’Association Belge d’Orthodontie (ABO), naît l’Union Francophone des Orthodontistes (UFO). Celle-ci va connaître plu- sieurs appellations avant de s’imposer, à partir de 2004, en tant qu’Union Francophone des Orthodontistes de Belgique (UFOB). Elle compte aujourd’hui près de 250 membres issus des régions bruxelloise, wallonne et germanophone du pays. • L’UFOB est le pendant franco- phone de la Belgische Beroeps- vereniging van Nederlandstalige Orthodontisten (BBNO); ces der- nières sont toutes les deux réu- nies au sein de la Belgian Union of Orthodontic Specialists (BUOS) qui fédère, au niveau national, les orthodontistes spécialistes agréés auprès de l’INAMI. • Du point de vue international, l’UFOB est représentée à travers la BUOS à l’European Federation of Orthodontic Specialists (EFO- SA). Elle est également invitée chaque année à la World Federa- tion of Orthodontists (WFO). • Cathy Rigaux a rejoint l’Union à la sortie de ses études en 1995. Elle y a exercé plusieurs man- dats avant d’en devenir la Prési- dente en 2014. Elle est également Vice-Présidente de la BUOS. UFOB, avenue Winston Churchill 11/30, 1180 Bruxelles. orthodontiste.be info@orthodontiste.be Cathy Rigaux: la passion des tout-petits • Née à Charleroi en 1967, la Prési- dente de l’UFOB a toujours sou- haité travailler avec les enfants. À tel point qu’avant de bifur- quer vers la dentisterie, «en me disant que je ferai l’orthodon- tie», elle s’était initialement inscrite en pédiatrie. • Cathy Rigaux achève la den- tisterie à l’Université Libre de Bruxelles en 1991 et poursuit ses études d’orthodontie en France, à l’Université de Nantes, puis en Italie, à l’Université de Milan. Précisons que sa fille vient elle aussi d’achever son cursus en dentisterie. • «Tout se joue avant 6 ans...», Cathy Rigaux aime reprendre ces mots de Françoise Dolto pour évoquer sa pratique. «Si nous n’apprenons pas aux enfants, Comment pouvez-vous avancer que ces «diplômes étrangers» d’orthodontiste spécialiste seraient souvent surévalués? C.R.: Parce que celles et ceux qui les possèdent demandent leur affilia- tion à l’UFOB. En tant que spécia- listes, ils sont tenus de réaliser une garde et, pour s’y inscrire, ils doivent passer par nous. C’est ce parcours qui nous a permis de constater le phénomène et de tirer la sonnette d’alarme. Certains d’entre eux ont travaillé dans des cabinets de DSO belges et les retours ne sont pas brillants. Beaucoup sont recrutés par des sociétés à la démarche très commerciale qui – entre guillemets – utilisent ce genre de main-d’œuvre, sur base de la formation suivie décrite dans leur C. V. Si nous avions seulement l’occasion, via la Commission d’agrément, de pouvoir lire leur dossier et de rendre un avis selon lequel, si nécessaire, nous estimons qu’il serait opportun de leur proposer un stage de 1 ou 2 ans chez un DSO qualifié, qui serait maître de stage en quelque sorte, pour valider leur diplôme, nous pourrions endiguer une déprécia- tion inéluctable de la profession... Ce qui est très dommage, car notre formation universitaire, pour ceux qui ont la possibilité d’en profiter, est de haute qualité. Face à cela, parce que nos universités franco- phones ne peuvent pas prendre plus de candidats, certains dentistes généralistes souhaitant pratiquer l’orthodontie, faute de place, poursuivent des études au Canada, en France, etc. et ils en reviennent avec un bagage largement supérieur au biais «européen», mais ils ne pourront jamais être reconnus DSO! Nous exigeons donc une formation de qualité pour tous les orthodon- tistes et nous militons également pour que nos universités soient refinancées et puissent prendre plus de candidats. très jeunes, à dormir, manger et respirer convenablement, ils rencontreront plus tard des pro- blèmes orthodontiques beau- coup plus conséquents.» Dans son cabinet de groupe à Fleurus, elle souscrit donc plus à la thé- rapie myofonctionnelle qu’aux diktats du «tout aligné». COVID-19 et futur de l’orthodontie Craignez-vous un nivellement par le bas de votre spécialité? C.R.: Une autre de nos grandes préoccupations est la pyramide inversée des âges chez les orthodon- tistes spécialistes. Près de 40% des praticiens ont entre 52 et 65 ans. En d’autres termes, dans les 10 ans à venir, nous allons perdre pas loin de 40% des DSO, et peut-être même plus rapidement encore avec la crise de la COVID-19. Car, parmi les plus âgés, certains se découragent et n’ont plus les ressources, mentales et physiques, pour faire face à cette catastrophe. Ils ont peur et ils préfèrent arrêter, ce que je peux comprendre. Depuis la première vague de coronavirus, en mars dernier, nous avons déjà perdu près de 10 collègues, seront- ils remplacés par des candidats «tuniso-roumains»? Ou nos autorités vont-elles ouvrir les yeux et agir pour tenter de remonter le niveau? Ce sont les grandes lignes que l’UFOB défend ainsi que, avant tout, la qualité de l’orthodontie, des soins, de la prise en charge du patient... C’est fondamental. Terminerions-nous avec vos vœux pour 2021? C.R.: Que la qualité de l’orthodontie puisse être préservée et que notre enveloppe budgétaire soit revue de fond en comble! C’est ce qui me tient le plus à cœur. Au niveau ministériel, nos élus doivent se rendre compte que notre spécialité a fait un bond de 50 ans en avant en une quinzaine d’années, alors que la nomenclature est toujours 50 ans en arrière. Avec plus de moyens, nous pourrions privilégier l’orthodontie précoce et prendre les enfants beaucoup plus jeunes, et nous y gagnerions sur le long terme. Voyez tous ces adultes victimes d’apnée du sommeil, de la perte des dents, forcés de se tourner vers des prothèses, alors que si cela avait été traité bien avant...