22 PHYTOTHÉRAPIE Chirurgie Tribune Édition Française | Novembre 2020 Qui pourra expérimenter le cannabis médical en France ? © PRO Stock Professional/Shutterstock.com En octobre 2019, l’actuel ministre des Soli- darités et de la Santé, Olivier Véran, alors dé- puté, présentait devant l’Assemblée natio- nale le texte qui allait devenir l’article 43 de la loi N°2019-1446 de financement de la Sécurité sociale pour 2020. Cet article donne notamment la possibili- té à l’État d’autoriser, dans le cadre d’une expérimentation de politique publique, l’usage médical du cannabis sous la forme de produits répondant aux standards phar- maceutiques. Il s’agit de l’aboutissement de deux ans de réflexion menées en France sur la pertinence scientifique et les modalités d’accès à des produits pharmaceutiques à base de cannabis, destinés à des malades chroniques dont les souffrances ne peuvent pas – ou peu – être soulagées par d’autres moyens. L’expérimentation de cette solution de- vait débuter en septembre 2020. Malheu- reusement, l’épidémie de Covid-19, mais aussi de probables arbitrages politiques et administratifs, ont bouleversé son calen- drier : en juin dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé son report « au plus tard en janvier 2021 ». Expérimentation : mode d’emploi Cette expérimentation concernera a mi- nima 3 000 patients souffrant de douleurs chroniques neuropathiques, de contrac- tions musculaires douloureuses (chez des malades atteints de sclérose en plaques ou avec des lésions médullaires), d’épilepsies résistantes, de complications liées aux can- cers et aux chimiothérapies, ainsi que des personnes en situation palliative. Compte tenu des données scientifiques disponibles, la prescription de ces médica- ments sera réservée à des patients pas – ou mal – soulagés par les thérapeutiques acces- sibles. Ce ne seront pas des médicaments de première intention, car ils n’ont pas démon- tré une efficacité équivalente ou supérieure aux médicaments existants. L’accès des patients à l’expérimentation se fera directement par les structures hospi- talières spécialisées où ils sont soignés. Ce sont leurs personnels qui assureront les pre- mières prescriptions. Les malades pourront aussi être adressés à ces structures dans cer- taines indications par leur médecin traitant. La dispensation de ces médicaments se fera soit par les pharmacies hospitalières soit par les pharmacies de ville. Pour que cette expérimentation puisse commencer rapidement, les médicaments utilisés seront fournis par des producteurs étrangers qui en proposent déjà, sous la forme de capsules, d’huiles ou de fleurs sé- chées en fonction des différentes indica- tions retenues. En effet, la production fran- çaise n’est pas encore possible, car la culture du cannabis à des fins médicales n’est pas autorisée. AD Quel est le but de cette expérimentation ? L’objectif principal de cette expérimenta- tion n’est autre que de valider les circuits de prescription et de dispensation de tels pro- duits. Ce qui n’a rien d’exceptionnel pour des professionnels de santé qui manient déjà d’autres médicaments stupéfiants au quotidien, dont certains plus à risque de dé- pendance voire de surdose. Elle sera aussi l’occasion, si des moyens financiers adaptés lui sont attribués, de former un plus grand nombre de médecins et pharmaciens, dans l’optique d’une généralisation de l’emploi de ces médicaments. Enfin, cette expéri- mentation permettra d’obtenir une évalua- tion scientifique complémentaire à grande échelle. Il faut souligner également que, si la voca- tion de ce projet d’expérimentation est de permettre une généralisation de l’accès à ces produits aux standards pharmaceu- tiques, ce processus est totalement indé- pendant du sujet de la légalisation d’autres finalités d’usage du cannabis. Autrement dit, l’usage médical de cette substance n’a pas vocation à être le cheval de Troie d’une quelconque légalisation du cannabis à usage dit « récréatif », par exemple. Cette démarche ne doit pas dépendre non plus des arbitrages relatifs à l’autorisation de la culture du cannabis en France ni de la mise en place de productions françaises dédiées à ces premières prescriptions, au risque de prendre plusieurs années de retard. Un décret d’application toujours en attente De très nombreux pays européens expé- rimentent ces médicaments à base de can- nabis, ou ont déjà autorisé leur utilisation. C’est notamment le cas du Luxembourg, de l’Allemagne, de l’Italie, de la Suisse, de l’Irlande ou de la Grande-Bretagne. En France, l’accès aux médicaments contenant du cannabis thérapeutique a été jugé scien- tifiquement pertinent dès décembre 2018 par le premier comité scientifique de l’ANSM. Pourtant, deux ans plus tard, les produits aux standards pharmaceutiques à base de cannabis ne sont toujours pas acces- sibles aux patients. En effet, si la loi a bien été adoptée, le décret d’application corres- pondant est attendu depuis plusieurs mois. Or, sans ce décret, il est impossible de mettre en œuvre cette expérimentation, car ces produits restent illicites, et l’étape cruciale de la sélection et de l’autorisation des médi- caments qui seront prescrits aux patients ne peut être réalisée. La question du financement de cette ex- périmentation de politique publique est également cruciale. Elle impliquera en effet des milliers de professionnels de santé qui devront être formés. Il faudra également fi- nancer l’achat des produits et dispositifs utilisés dans le cadre de ces essais. Or pour l’instant, aucun financement dédié ne semble prévu. Cette apparente absence de financement met la France en situation de dépendance face à des acteurs privés étran- gers. Notre pays dépend de fait de leur bon vouloir de fournir gracieusement leurs pro- duits et dispositifs médicaux. Un retard qui questionne sur la volonté politique de mettre réellement en place cette expéri- mentation à grande échelle. Et ce, alors même que de nombreux patients en souf- france sont en attente de pouvoir essayer des solutions complémentaires dans le cadre d’un accompagnement médical, pour enfin soulager leurs maux chroniques et in- validants. Première parution sur le site theconversa- tion.com 8 septembre 2020, et mis à jour le 7 octobre 2020. Autoriser à la reproduc- tion conformément à la licence creative commons. Nicolas Authier · Médecin psychiatre et pharmacologue, professeur de médecine, Inserm 1107, fondation Analgesia, CHU Clermont-Ferrand, université Clermont Au- vergne (UCA). · Nicolas Authier est administrateur de la fondation de recherche contre la douleur „Institut Analge- sia“. Il est aussi membre du collège scientifique de l‘OFDT et du comité scientifique permanent psy- chotropes, stupéfiants et addictions de l‘ANSM. Il préside le comité scientifique de mise en place de l‘expérimentation du cannabis médical en France.