4 INTERVIEW DENTAL TRIBUNE ÉDITION BELGE SEPTEMBRE 2020 L’incident au fauteuil: comment réagir, mais aussi le prévenir TEXTE: GWENA ANSIEAU Bertrand Dassargues, infirmier urgentiste, connaît bien le milieu de la dentis- terie: il donne régulièrement des formations sur la gestion des urgences médicales au fauteuil, proposées par la Société de Médecine Dentaire (SMD). Quel matériel faut-il avoir à portée de main, quels gestes poser, comment rassurer le patient? Tour d’horizon des bons réflexes à avoir… et à entretenir! «Je reste convaincu que si un dentiste se forme régulièrement et s’entraîne, il abordera la probléma- tique avec beaucoup plus de calme et de sérénité que s’il s’est formé 20 ou 30 ans plus tôt. On fait bien ce que l’on fait souvent, qu’on soit fraîchement diplômé ou en fin de carrière.» De l’arrêt cardiaque aux incidents mineur Bertrand Dassargues présente l’essentiel de ce qu’un dentiste devrait savoir pour aborder toute situation avec sérénité. La véritable urgence: l’arrêt cardiaque L’arrêt cardiaque chez le dentiste reste heureusement très rare, avec 3,3 cas pour 1.000 dentistes et par année de pratique, en France et en Belgique*. Cette étude a également souligné que 63,6% des dentistes ayant répondu au questionnaire ne se sentaient pas capables de prendre en charge un tel évènement. le rappel de Réanimation cardiopulmonaire de base: des normes revues tous les cinq ans Après l’existence de trois niveaux de secours en Belgique (ambulance, Paramedi- cal Intervention Team (PIT) et Service Mobile d’Urgence et de Réanima- tion (SMUR)), Bertrand Dassargues aborde la théorie. «Le European Resusci- tation Council (ERC) a été créé en 1989. Il garantit un protocole précis et une formation homogène en Europe, avec des normes de réanimation mises à jour tous les cinq ans, pour suivre l’évolution scientifique de cette prise en charge», explique-t-il. «Les nouvelles normes sont prévues pour novembre 2020. Qu’est ce qui peut changer? Il y a 15 ans, on pratiquait 15 compressions et 2 insufflations. Maintenant, on recommande 30 compressions et 2 insufflations. Des études ont montré qu’avec un cycle de 30 compressions, on obtient une meilleure récupération.» Après ce premier volet théorique vient un entraînement avec deux mannequins. «Il est essentiel que chacun ressente la sensation de masser un thorax: l’arrêt cardiaque Bertrand Dassargues, infirmier urgentis- te, anime des formations sur la gestion des urgences médicales au fauteuil. est un évènement tellement stressant qu’il faut absolument s’exercer pour dépasser ses craintes le jour où on y fait face. Certes, les dentistes reçoivent cette formation pendant leur cursus, mais ils peuvent passer 10 ou 20 ans sans refaire les gestes. Pas évident, en situation d’urgence, de faire appel à des souvenirs anciens et pas forcément en adéquation avec les normes actuelles.» → Le +: le Pocket Mask, avec une valve anti-retour (5 €) Le défibrillateur: dédramatiser son utilisation Depuis 2007, on trouve des défibril- lateurs automatiques externes (DEA) en libre accès dans la plupart des lieux publics. «Mais beaucoup de gens n’osent pas s’en servir, craignant mal faire. Or, s’ils sont accessibles, c’est qu’ils sont inoffensifs: un DEA est programmé pour décider ce qu’il doit faire. Si vous placez les patchs du défibrillateur sur une personne qui n’est pas en arrêt cardiaque, la machine ne « choquera » pas. Si le stress vous empêche de bien l’utiliser, la machine décidera s’il faut délivrer un choc au patient. Trop de gens ont peur et ne vont pas chercher le défibrillateur. Pourtant, si vous l’utili- sez dans les deux premières minutes de l’arrêt cardiaque, vous augmentez les chances de survie de 60%.» Par quoi commencer en cas d’arrêt cardiaque? On prévient les secours. «Ensuite, dans un premier temps, on débute la réanimation. Si on sait qu’il existe un défibrillateur accessible, on l’envoie chercher. Dès qu’il arrive, on Béatrice Willot-Leclercq, maman d’une patiente, Bruxelles «J’accompagnais ma fille qui devait se faire retirer des fils. Je lui tenais la main pour la rassurer, mais à la vue du sang, je me suis sentie mal. J’ai dû lui expliquer que je devais la laisser pour ne pas être un problème, et je suis allée m’asseoir sur une chaise pour éviter de tomber par terre. Cela n’a pas suffi, et je suis allée m’allon- ger dans la salle d’attente sur un fauteuil. La dentiste m’a parlé tout le temps, même à distance, en continuant les soins, puis m’a apporté de l’eau sucrée. J’étais Béatrice Willot-Leclercq. rassurée de voir qu’elle savait quoi faire pour m’aider tout en restant concentrée sur les soins.» arrête le massage et on le branche immédiatement.» → Faut-il investir dans un défibrillateur automatique? «C’est un grand débat… Il faut compter 1.000 à 2.000 euros pour la machine, et y ajouter un contrat d’entre- tien annuel. En France, 8,6% des cabinets en sont équipés, c’est sans doute moins en Belgique.» Les incidents médicaux au cabinet Moins traumatisants, et toujours peu incidents imprévus s’invitent parfois au fauteuil. Le stress du patient en est souvent à l’origine. fréquents, des Le malaise vagal: le plus courant Le stress, la vue du sang ou d’une aiguille, et le patient perd connais- sance, ou se sent «partir». On place le patient en position de Trende- lenburg: allongé, la tête légère- ment plus basse que le corps. «Dès qu’il revient à lui, on lui demande s’il se sent capable de faire le soin. Je recommande toujours de ne pas forcer quelqu’un qui a fait un malaise vagal lié au stress, car il risque de recommencer. Je conseille plutôt de lui proposer des thérapies brèves, des thérapies cognitivo-com- portementales, de l’hypnose, etc. pour l’aider à vaincre cette phobie.» La crise d’hyperventilation: l’autre classique Stressé, le patient se met à respirer trop vite, ce qui perturbe les échanges gazeux pulmonaires. Avec calme, le dentiste l’invite alors à prendre de grandes inspirations et expirations, et si cela ne suffit pas, il l’amène à respirer dans un sac pour retrouver un équilibre acidobasique sanguin. «Dans 95% des cas, cela se règle en étant posé et doux avec le patient, en s’exprimant calmement, voire en respirant avec lui.» Diabète: gérer un déséquilibre Moins fréquemment, le dentiste peut se retrouver face à un patient diabétique dont la glycémie est perturbée par le stress. «Il arrive aussi que le patient soit déjà déséquilibré en arrivant. En général, ces patients se connaissent, et s’ils sentent venir l’hypoglycémie, ils demandent quelque chose de sucré. On leur donne alors une boisson sucrée, pour l’effet immédiat, mais aussi quelque chose à index glycémique plus faible (tartine, biscuit, etc.), pour éviter une hypoglycémie réactionnelle 20 minutes plus tard.» La crise d’épilepsie: on oublie les remèdes de grand-mère La crise d’épilepsie reste impression- nante. «Et là, j’explique surtout ce qu’il ne faut pas faire! Beaucoup de croyances populaires sont erronées, voire dangereuses. Non, il ne faut pas ouvrir la bouche du patient et mettre deux doigts pour éviter que la langue ne bascule en arrière, ce qui ne peut pas se produire. Vous risquez surtout d’être mordu! Oui, le patient épileptique va sans doute se mordre la langue, mais ce n’est pas grave! Que faire alors? Laisser passer la crise et éviter le suraccident: ne pas placer un objet dur entre les dents, ce qui pourrait endommager celles-ci, éloigner tout ce qui pourrait blesser le Charlotte Delorme, dentiste généraliste, formée à l’hypnose Temps, confiance et coopération: les clés de la relation thérapeutique «J’ai eu des incidents au fauteuil en début de carrière, et c’est ce qui m’a amenée à faire de l’hypnose. Mais, en réalité, maintenant, je ne jamais! Pourtant, il y a eu un avant et un après l’hypnose dans ma prise en charge des patients. Ces forma- tions m’ont beaucoup apporté en termes de communication: c’est une expérience humaine très in- téressante.» l’utilise quasiment Dre Charlotte Delorme. La confiance, clé de la relation «Je propose des consultations spécifiques "hypnose", et je reçois des patients qui sont demandeurs, suite à des incidents qu’ils ont vécus. Mais, en fait, je ne vais pas forcément recourir à l’hypnose, j’essaie surtout de redonner confiance aux gens. Et si, lors d’une consultation classique, il y a un souci, alors je vais utiliser des techniques d’hypnose, mais sans aller dans de l’hypnose profonde.» «L’hypnose, c’est une manière d’être, une prise en charge différente. C’est compliqué, pour un patient, d’être chez le dentiste: il y a des bruits, des odeurs, une ambiance. Pour chaque nouveau patient, j’adapte ma prise en charge: ma manière d’être, de parler, de l’accueillir, de l’installer d’abord au bureau, etc. J’explique ce qu’on va faire. Le point de départ, c’est la confiance, qui met le patient à l’aise.» Prendre le temps «Si un patient fait un malaise vagal, je fais ce qu’il faut pour qu’il aille mieux, et je lui laisse du temps. Une fois que j’ai gagné sa confiance, mon but est de lui donner les clés, la méthodolo- gie, pour qu’il soit autonome. Qu’il sache, quelles que soient les circonstances, trouver le moyen de se détendre, et de se mettre dans un environnement propice aux soins. Pour chaque indivi- du, j’ai une technique et une manière de faire différentes, c’est principalement une question de feeling. Il faut prendre énormé- ment de temps, c’est pour moi la base: pouvoir dire "O.k., on fait une pause, on écarte tout, on respire". Ensuite on voit si on part sur de l’hypnose, et il y a plusieurs manières de faire. Quitte à faire le soin la fois suivante, le temps de trouver une technique qui apporte le plus de confort au patient et lui donnera l’envie de coopérer.» «Donc, même lorsque des patients viennent pour de l’hypnose, je n’en fais pas nécessairement, parce qu’il suffit souvent de leur laisser le temps. Pour moi, l’inci- dent arrive quand le patient se sent seul, quand il sent le chrono du dentiste, etc. Si on lui laisse la possibilité d’appréhender la pièce, le fauteuil, de s’installer confor- tablement, sans lui montrer les aiguilles, etc., en lui présentant le miroir, la lumière, en expliquant ce qu’on va faire, ça se passe bien. C’est devenu une partie intégrante de ma prise en charge. Moi aussi, je me sens bien comme ça: tout le monde est gagnant!» patient, baisser le fauteuil, se mettre sur le côté pour éviter qu’il n’en tombe, etc. Une fois la crise passée, le patient sera exténué, et il faudra le calmer, lui expliquer ce qui s’est passé.» L’inhalation d’un corps étranger: appliquer les bons gestes Le patient avale un tampon de coton ou un composite? S’il passe dans les voies digestives, il sera évacué naturellement. Si, par contre, le patient n’est plus capable de parler, de tousser, et que plus aucun son ne sort de sa bouche, nous sommes face à une obstruction sévère et totale. «Le dentiste pratiquera alors une manœuvre de désobstruction, autrefois appelée manœuvre de Heimlich. La plupart du temps, cette technique est efficace.» Si malgré cela, l’obstruction n’est pas levée, contactez le 112! Le choc anaphylactique: en voie de disparition C’est le plus souvent une réaction causée par l’excipient. La solution? Un stylo auto-injecteur d’adréna- line. «Mais cela arrive de moins en moins, car les sociétés pharma- ceutiques sont plus vigilantes sur ce point. La plupart du temps, on constate de simples réactions allergiques (réaction locale cutanée, boutons), pour lesquelles on prévoit un antihistaminique classique.» * Pour en savoir plus, veuillez consulter le site web www.sfmu.org. Le b.a.-ba du défibrillateur Le défibrillateur automatique possède en général deux boutons: «on/off» et «choc». Appuyez sur «on» et suivez les messages vocaux de la machine: débarras- ser la poitrine du patient et placer les deux électrodes. Sur celles-ci, un schéma représen- tant un corps humain montre où les coller, l’une après l’autre. Ensuite, vous les connectez à la machine, qui dira alors «analyse touchez pas du rythme cardiaque en cours», puis le cas échéant, «choc recom - mandé, ne le patient», ensuite «préparation du choc», puis «choc préparé, appuyez sur le bouton cligno- tant orange». Le choc est alors délivré. La machine annonce alors «vous pouvez reprendre la réanimation», et vous recom - mencez à masser.