4 COMMUNICATION Dental Tribune Édition Française | Octobre 2020 Vape et sevrage tabagique : Fake news en série Philippe Arvers Il ne se passe pas une semaine sans que les médias, bien souvent sans vérifier leurs sources, nous abreuvent de nouvelles alar- mistes sur la vape. J’emploie ce terme, plutôt que cigarette électronique ou eCigarette, car il n’y a pas de combustion, donc pas de fu- mée, mais un dégagement de vapeur d’eau. Or ces nouvelles à charge, dénoncées par les tabacologues, entretiennent un climat de dé- fiance et une peur d’utiliser la vape. Fin 2019, le Dr Marion Adler (Hôpital Antoine Béclère de Clamart, APHP) s’est ainsi alarmée du fait que bon nombre d’ex-fumeurs devenus va- poteurs délaissent la vape pour se remettre au tabac 100 % toxique et mortel, suite à ces rumeurs sans fondements. En cette période de confinement liée au Covid-19, beaucoup de désinformation sur la vape et le risque de transmission du virus. # Fake news n°1 : L’usage de la vape, occasionnel ou régulier, est associé à un risque accru d’infar- ctus du myocarde En juin 2019, Stanton Glantz (professeur de médecine et directeur du Center for Tobacco Control Research and Education, université de San Francisco, États-Unis) et Dharma Bhatta (épidémiologiste et chercheur en santé pu- blique au Center for Tobacco Control Research and Education) publiaient un article dans le Journal of American Heart Association (JAHA), affirmant que la vape double le risque de faire une crise cardiaque. Leur analyse s’appuyait sur les données de l’étude de cohorte PATH (Population Assessment of Tobacco and Health survey), qui porte sur plus de 32 000 américains suivis entre 2013 et 2014. Mais dès le 14 août 2019, Clive Bates (spécialiste en san- té publique et ancien directeur de l’associa- tion de lutte contre le tabac, ASH) dénonçait sur son blog la méthodologie et les résultats de cette étude. De fait, Brad Rodu (professeur de médecine à l’université de Louisville, aux États Unis et Nantaporn Plurphanswat (chercheuse en éco- nomie de la santé à l’université de Louisville), avaient déjà publié en 2018 sur l’étude PATH, et montré que la majorité des patients avaient fait leur infarctus avant de se mettre à la vape (en moyenne, dix ans plus tôt). Or Glantz et Bhatta ayant omis de le préciser, Rodu et Plurphanswat avaient contacté une première fois le 11 juillet 2019 les éditeurs du JAHA, en les informant que les conclusions de leurs collègues étaient fausses, et en leur deman- dant que la publication soit retirée. La ré- ponse se fit attendre. Alors, le 18 juillet 2019, les deux chercheurs adressèrent à JAHA un second courrier, pour expliquer que Glantz et Bhatta étaient au courant du fait que l’infarc- tus était antérieur au recours à la vape. Puis faute de retour, le 20 janvier 2020, une troi- sième lettre fut envoyée aux éditeurs, cette fois signée par vingt personnalités, dont le Pr Peter Hajek, le Pr Ann McNeill et le Dr Konstan tinos Farsalinos. Cette fois, une ré- ponse finit par arriver, le 18 février 2020, avec le retrait de la publication. Mais ce retrait aura pris six mois, pendant lesquels de très nom- breux ex-fumeurs auront renoncé à la vape. Sur son blog, le Pr Brad Rodu détaille par ail- leurs les fonds reçus par le Pr Stanton Glantz pour cette étude : 13,6 millions de dollars. Et l’on peut légitimement se demander s’il ne doit restituer cette somme, après avoir falsi- fié les résultats qu’il a publiés. D’autant qu’il n’en est pas à son coup d’essai : en 2018 déjà, dans une étude publiée dans l’American Jour- nal of Preventive Medicine et portant sur des données des National Health Interview Sur- veys de 2014 et 2016, il concluait que le re- cours à la vape quotidienne augmentait le risque d’infarctus du myocarde. # Fake news n°2 : Une épidémie de pneumo- pathies aux États-Unis chez les utilisateurs de la vape Le 7 septembre 2019, le magazine Le Point titrait l’un de ses articles : Cigarette électro- nique : une maladie inquiétante tue cinq per- sonnes aux États-Unis. Le texte s’inspirait d’une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) ayant pris ses sources auprès du CDC (Centre pour le contrôle et la prévention des mala- dies, agence fédérale américaine), lequel avait mis en ligne sur son site un communiqué (rapport hebdomadaire morbidité et mortali- té) sur la survenue de pneumopathies lipi- diques aiguës liées à la cigarette électronique en Caroline du Nord, en juillet–août 2019.Plus de 200 cas – hospitalisés et guéris après un traitement médical adapté – avaient alors été recensés dans 25 états américains, dont cinq en Caroline du Nord. Mais leur origine réelle, bien qu’étant identifiée, n’avait pas été prise en compte clairement par le CDC : il s’agissait de THC (huile, en particulier) et d’acétate de vitamine E, présents dans les eLiquides de contrefaçon, achetés dans la rue ou sur Inter- net. Pourtant, dès le mois d’août 2019, des chercheurs du centre Wadsworth (Albany – état de New York) avaient analysé 38 échantil- lons et alerté les autorités sanitaires (CDC, FDA et autorités locales) sur la présence de l’acétate de vitamine E, cause de ces pneumo- nies lipidiques. En France, une alerte DGS-urgent fut lancée le 8 octobre 2019, et relayée le huit du mois par le journaliste Jean Yves Nau sur son blog. Mais contrairement aux États-Unis, où le sui- vi sanitaire des cas de pneumopathies sé- vères chez des vapoteurs a été déclenché (au 10 janvier 2019, 1 080 cas, dont dix-huit dé- cès), aucune épidémie n’a été détectée à ce jour dans notre pays. À ce propos, soulignons qu’en lien avec Santé publique France, les agences sanitaires, les partenaires du réseau de prévention des addictions et les sociétés savantes de médecine d’urgence, de réanima- tion et de pneumologie, le ministère des Soli- darités et de la Santé a mis en place un dispo- sitif de signalement et d’investigation des cas de pneumopathies sévères chez des utilisa- teurs de dispositifs de vapotage. Les méde- cins peuvent effectuer le signalement sur le portail dédié, dans la rubrique « Effet sani- taire indésirable suspecté d’être lié à des pro- duits de consommation » (sous l’intitulé « vapotage & pneumopathie »). Ajoutons par ailleurs que chacun peut consulter les infor- mations actualisées de l’alerte américaine sur le site du CDC. Enfin, le dispositif de surveil- lance active des pneumopathies sévères en lien avec le vapotage, est détaillé sur le site de Santé publique France. Les modalités de si- gnalement de tout autre effet inhabituel, en lien avec le vapotage, restent identiques (via les rubriques de toxicovigilance ou d’addicto- vigilance selon les produits consommés ou suspectés). Au final, il aura fallu attendre le 16 octobre pour que la Société francophone de tabacolo- gie (SFT) fasse un premier communiqué de presse, et le 1er novembre pour que la SFT produise un second communiqué avec la So- ciété de pneumologie de langue française (SPLF) sur la place de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique. Et force est de constater que les alertes américaines se sont produites alors même que le marché la vape est en plein essor, quand le BigTobacco, ou in- dustrie du tabac, fait face depuis trois ans à un déclin mondial : British american tobacco (BAT) a ainsi annoncé en septembre, la sup- pression de 2 300 emplois dans le monde, et chez Philip Morris International (PMI), les bé- néfices ont diminué de 16 % au 3e trimestre 2019. Dr Philippe Arvers Médecin addictologue et taba- cologue, université Grenoble Alpes (UGA). Je consulte au 7 e centre médical des armées (CMA) à Varces, près de Grenoble. Pendant de nombreuses années, j’ai étudié les facteurs de vulnérabilité associés aux conduites addictives, chez les jeunes en particu- lier. J’ai été chercheur associé (2006-2018) dans le Laboratoire Inter Universitaire de psychologie/per- sonnalité, cognition, changement social (LIP/PC2S) de l’université Grenoble Alpes et de l’université Savoie Mont-Blanc, qui se consacrent à l’analyse de la cognition, du comportement et des interactions humaines dans leurs différents contextes. J’y ai no- tamment travaillé sur le thème alcool et violence, avec Laurent Bègue. Avec Laurent Bègue, directeur de la maison des sciences de l’homme à Grenoble, et Violaine Blanc, nous avons mis en place l’observa- toire territorial des conduites à risques de l’adoles- cent (https://otcra.fr/), inauguré en 2018 par Nicolas Prisse, président de la MILDECA. Je suis par ailleurs administrateur de la Société francophone de tabaco- logie (SFT), de l’Institut Rhône Alpes Auvergne de tabacologie (IRAAT) et de la Mutualité française de l’Isère (MFI-SSAM), et j’ai animé un blog sur les addic- tions, sur le site priorité santé mutualiste de la FNMF (maintenant en sommeil). Je collabore également avec Unéo, la mutuelle des forces armées, pour les questions d’addictologie (équipe Unéo-prévention), en tant que délégué. J’interviens régulièrement à la demande de la Mutualité française Auvergne Rhône Alpes pour différents mutuelles, comme la MGEFI. Depuis 2018, j’interviens à l’université inter-âges du Dauphiné (https://www.uiad.fr/cours/details/2019/ B03) avec un cours sur les actualités en addictologie.