Esthétique Tribune Édition Française | Mai 2020 RECHERCHE 25 Niveau de preuve Références 1 2 3 4 5 Aucune Aucune 3, 5, 38, 75 7–9, 15, 19, 20, 22, 25, 28, 40, 45, 63–65, 70, 73, 78 1, 4, 10, 11, 14, 27, 42, 47, 55, 67–69 Tableau 2 : Niveau de preuve concernant 33 ar- ticles ayant directement trait à la dysesthésie oc- clusale. teurs et/ou les articulations temporo-man- dibulaires) et le dysfonctionnement des muscles masticateurs et des articulations temporo-mandibulaires.28 La littérature décrit des cas où des traite- ments ont été réalisés en l’absence de résul- tats dentaires objectifs mais simplement à la demande des patients. Ces interventions et leurs possibles conséquences (p. ex. une ag- gravation du problème) sont susceptibles de mener ultérieurement à des litiges entre le patient et le praticien.7, 9 Une caractéristique principale de la DO est le sentiment d’inutili- té que ressentent les patients vis-à-vis de traitements occlusaux qui seraient sinon ef- ficaces. Au contraire, ces interventions peuvent même mener à une exacerbation des symptômes, même si les traitements dentaires ont été réalisés dans les règles de l’art.7, 9, 16 Un diagnostic différentiel qui tient compte de la possibilité d’une interférence occlusale (voir ci-dessous) s’avère particuliè- rement important dans ce cas. Les chirurgiens- dentistes ont souvent l’impression que leur interaction avec le patient a un aspect plutôt aggravant, car leur relation avec le patient est marquée par un sentiment de doute mutuel. Généralement, un ajustement occlusal com- mence par soulager les symptômes, mais, après quelques semaines, il peut très bien mener à l’impression d’un effet inverse au ré- sultat attendu. La charge émotionnelle qui pèse sur le praticien s’accroît avec la durée du traitement et se double d’un sentiment de frustration et d’épuisement chez le patient qui a souvent été le premier à demander le traitement, ou tout au moins à l’encourager. Considérés dans leur ensemble, ces résultats indiquent clairement la présence d’un trouble somatoforme.29 5 Épidémiologie Aucune information épidémiologique sur la prévalence de la DO n’a été trouvée dans la littérature. Selon le peu de données dispo- nibles, l’âge moyen des patients atteints de DO est de 52 ± 11 ans. Les femmes sont tou- chées cinq fois plus que les hommes.5, 7, 8 On estime que le trouble apparaît vers l’âge de 45 ans en moyenne (intervalle de confiance à 95 % : 32–59 ans).5, 9 Selon les données ac- tuelles, seuls les adultes sont concernés7 et, de fait, aucun rapport de cas d’enfants ou d’adolescents n’a été identifié lors de nos re- cherches dans la littérature. Une étude de terrain menée par dix spécialistes dans des cabinets privés en Allemagne a indiqué que neuf patients atteints de TCM, sur 1 041 exa- minés entre février 2014 et janvier 2015, ré- pondaient aux critères de DO.12 En règle gé- nérale, la DO est associée à un stress psycho- logique lui-même lié à une dépression, à un trouble obsessionnel-compulsif, à d’autres troubles somatoformes et anxieux, à un trouble de la personnalité ou à d’autres ma- ladies mentales.5, 7, 12, 30, 31 6 Étiologie Les éléments suivants ont été envisagés comme facteurs étiologiques de la DO :5, 10, 32 1 Influences psychopathologiques. 2 Neuroplasticité et phénomènes fantômes. 3 Modification des stimuli proprioceptifs et de leur transmission. Toutefois, l’étiologie exacte n’est pas en- core suffisamment comprise. Des tentatives trop fréquentes de modification de l’occlu- sion visant à traiter des troubles indifféren- ciés peuvent contribuer à un processus ia- trogène de développement d’une DO.6 Gé- néralement, les gens ne sont pas conscients de leur occlusion,23 contrairement aux pa- tients atteints de DO qui le sont certaine- ment. Il a été avancé que les stimuli cen- traux sont traités différemment chez ces patients.23, 33, 34 Le problème peut se manifes- ter de lui-même, notamment chez les pa- tients qui se concentrent sciemment sur la perception de leurs contacts dentaires.35 Les modifications de l’occlusion mènent à un changement subconscient de la neuroplas- ticité cérébrale. Si les patients commencent à attribuer une signification affective néga- tive à ce processus d’ajustement, ils risquent de développer un trouble somatoforme et par conséquent une DO.23 L’interprétation proprioceptive de l’occlu- sion s’effectue selon un processus sub- conscient et réflexif qui repose sur une éva- luation de signaux corporels (inconnus). « Une attention excessive au corps (c.-à-d. une hypervigilance vis-à-vis des sensations corporelles) et une fixation sélective sur les sensations détectées augmentent la percep- tion des sensations somatiques ».23 La dysesthésie occlusale commence sou- vent avec un traitement dentaire, mais elle peut aussi apparaître seule, sans cause dis- cernable.8, 24 Contrairement à la croyance po- pulaire, les études n’ont montré aucune dif- férence statistiquement significative dans la perception tactile de l’occlusion. La moyenne était de 8 à 13 μm chez les patients atteints de DO (équivalant à l’épaisseur d’une feuille de Shimstock) et de 14–15 μm chez des sujets sains sans DO.26, 36, 37 Ce résul- tat souligne le rôle important de l’interpré- tation des signaux par rapport à leur inten- sité.4, 7, 23 Il a été avancé qu’une fréquence plus élevée des contacts dentaires pouvait contribuer au syndrome en raison d’une sti- mulation excessive des mécanorécepteurs desmodontaux (de type Ruffini).38 Dans la pratique clinique, certains patients atteints de DO peuvent être hypersensibles aux contacts occlusaux et les percevoir bien en deçà des valeurs annoncées de 8 à 13 μm.39, 40 Si dans cette situation, les praticiens pro- cèdent à des ajustements (répétitifs) de l’oc- clusion, cette intervention peut renforcer chez les patients le sentiment que leurs contacts dentaires sont responsables des symptômes qu’ils considèrent comme phy- siques de par nature. « Les chirurgiens-den- tistes persistent dans leur erreur de cibler l’occlusion dans les contacts dentaires lorsqu’un patient pré- sente une douleur concomitante, un dys- fonctionnement de l’ATM et une modifica- tion occlusale.6 » le souci d’ajuster 7 Processus diagnostique Le syndrome de dysesthésie occlusale cor- respond à une perception permanente de contacts dentaires inconfortables ou déplai- sants. Les observations cliniques relatives à l’occlusion n’ont aucun lien apparent avec le type et l’intensité des troubles signalés. Les patients affectés souffrent d’un profond stress psychosocial.9, 10, 24 Les patients at- teints de dysesthésie occlusale signalent souvent que de nombreux praticiens ont tenté en vain de parvenir à un « ajustement raisonnable » de leur occlusion.9, 24 Si les pa- tients pouvaient au moins consulter le pra- ticien avec d’anciens moulages ou même des articulateurs pour expliquer leurs pro- blèmes !1, 7, 9, 24 Les observations suivantes peuvent être des indicateurs de la présence d’une DO : • Il y a eu des ajustements répétés mais sans succès de l’occlusion.6, 7, 10, 15, 41 • Il existe une divergence entre les résultats occlusaux et la sensation subjective du pa- tient.6, 7, 10, 15, 41 • Le patient rend son occlusion responsable de ses troubles indéfinissables.6, 7, 10 • Le patient décrit son problème avec force détails, parfois même à l’aide de termes médicaux ou dentaires.7, 10 • Le patient a un sentiment très négatif vis- à-vis de ses praticiens précédents et simul- tanément des attentes immodérées du traitement de son ou de ses nouveaux pra- ticiens.7, 10, 42 Si un traitement occlusal est réalisé, il se traduit généralement par un nombre exces- sif de visites ne comportant qu’une modifi- cation mineure des faces occlusales ou des contentions.9, 24 La procédure structurée décrite ci-dessous est généralement recom- mandée pour le processus de diagnostic. Tout trouble physique supplémentaire ainsi que tout aspect personnel et social doivent faire l’objet d’une anamnèse dès le début et parallèlement à l’examen den- taire.9, 43 L’occlusion doit être vérifiée par des méthodes cliniques appropriées. Les résul- tats doivent être interprétés sur la base de diagnostics différentiels incluant notam- ment un trouble craniomandibulaire,44 ainsi que de possibles interférences occlu- sales, une maladie parodontale et des affec- tions pulpaires. Les indications de cofac- teurs de la DO, tels que l’anxiété/l’angoisse, les humeurs dépressives/la dépression, le stress affectif, la somatisation et la chronici- sation,5, 9, 45, 46 peuvent être estimés à l’aide de questionnaires adaptés. Après l’évaluation de ces questionnaires, les résultats doivent être examinés avec le patient. À cet effet, on utilise souvent les questionnaires suivants : • Difficultés dues à la douleur pour effectuer les activités quotidiennes : GCPS47, 48 • Anxiété, dépression : HADS,49 PHQ-4,50 DASS51, 52 • Stress affectif : SRRS,53, 54 THAT,51, 52 DASS51, 52 • Somatisation : BL-R/BL-R’,55 SSS-856 • Localisation de la douleur : dessins sur un schéma du corps entier57 de toutes les zones douloureuses existantes. La détermination des affections psy- chiques ou psychiatriques par les diagnos- tics appropriés selon la classification ICD- 10/ICD-11 ou DSM-5 ne relève pas des com- pétences du chirurgien-dentiste et ne doit être effectuée que par un spécialiste. 8 Diagnostic différentiel : Dysesthésie occlusale Des pathologies caractérisées par des signes cliniques similaires doivent être envi- sagées lors du diagnostic différentiel de la DO. Si les patients se plaignent d’une gêne occlusale ou déclarent que leurs « contacts dentaires ne sont plus corrects », cet aspect seul ne répond pas aux critères diagnos- tiques de la DO mentionnés précédemment. Les interférences des contacts dentaires en occlusion statique ou dynamique, que le chirurgien-dentiste peut vérifier objective- ment (« malocclusion »), doivent être ex- clues systématiquement du diagnostic par la prise de mesures correctrices standard. Une malocclusion peut avoir une origine dentaire, musculaire, articulaire ou squelet- tique. Elle se voit souvent dans la pratique dentaire quotidienne et peut se remarquer dans une situation statique ou dynamique. Elle peut apparaître avec ou sans traitement dentaire préalable, avoir des durées diffé- rentes et être associée à d’autres troubles. Si cela est nécessaire, une malocclusion peut être prise en charge par des traitements den- taires classiques. Il est possible de détermi- ner une malocclusion au moyen de feuilles de contrôle occlusal ou d’autres instruments de diagnostic, et de parvenir à un ajuste- ment grâce à des mesures correctrices spéci- fiques (soustractives, additives, fonction- nelles, orthodontiques ou chirurgicales). Un changement de posture de la tête, du tronc, de la tension des muscles mastica- teurs permettra de modifier l’occlusion. Ces modifications sont physiologiques et ne re- quièrent aucune intervention.10, 58 Dans la pratique clinique, on observe des formes mixtes. Celles-ci surviennent chez des patients atteints de DO qui présentent une malocclusion concomitante. Dans ces cas, la DO sera généralement le syndrome qui guide les actes du praticien. 9 Prise en charge 9.1 Généralités Le seul objectif de la prise en charge de la DO est l’amélioration de la qualité de vie liée à la santé bucco-dentaire. La désobses- sion et l’acceptation sont les concepts clés entrant dans la prise en charge des patients atteints de DO.32, 59, 60 Il existe des études de cas, des séries de cas et des rapports de spécialistes sur la prise en charge de la DO mais aucune publi- cation décrivant les résultats d’essais cli- niques contrôlés. Étant donné le nombre li- mité de données disponibles, les recom- mandations thérapeutiques de cette ligne directrice doivent être considérées comme le résultat d’un consensus d’experts. Comme avec tous les troubles physiques fonctionnels,61 la première démarche d’un patient est de bâtir une relation de confiance avec le praticien car une relation empa- thique entre les deux parties facilite l’accep- tation d’un traitement multimodal.62, 63 Pour le praticien, le préalable fondamental à la réussite de tout traitement est de prendre son patient avec le plus grand sérieux.32, 61 Les informations anamnestiques relatives aux troubles affectant l’ensemble du corps, prenant en compte les aspects personnels et sociaux,61 constitueront généralement les points de départ des interventions théra- peutiques subséquentes. Il convient d’éviter les confrontations, même si les patients et leurs interprétations (erronées) de la situa- tion sont parfois perçues comme des provo- cations.6, 10, 61 Il est important de donner ré- gulièrement aux patients des conseils sur des alternatives à leurs interprétations habi- tuelles, des alternatives qu’ils peuvent adop- ter au cours de tout leur traitement.6, 9, 61 9.2 Conseils et informations pour le patient Des conseils et des informations sur la na- ture du syndrome sont au centre des soins bucco-dentaires (« thérapie informative »). Dans la mesure où la perception subjective du patient découle fondamentalement d’un processus d’inadaptation vis-à-vis d’une si- tuation stressante de la vie, il est important de lui offrir un soutien psychologique ou psychiatrique. L’objectif thérapeutique doit viser à favoriser une évaluation adéquate du signal des contacts dentaires chez les pa- tients.28, 32 Ils doivent être incités à éviter tout contact dentaire inutile chaque fois qu’ils le peuvent.32, 64 Ils doivent également savoir que leur perception permanente des contacts dentaires n’a aucun lien avec les contacts eux-mêmes mais résulte d’un trai- tement (central) du signal.