14 MES INDISPENSABLES Esthétique Tribune Édition Française | Mars 2020 héros ou d’héroïne. À l’inverse, leur tolé- rance est moindre après un rôle d’âme sensible. Le seuil de douleur est aussi influencé par le sexe de la personne qui mène l’expé- rience. Dans un test de douleur thermique, la tolérance est plus forte chez les hommes quand la personne en charge de l’expé- rience est une femme. Et si l’expérimenta- trice est attractive sexuellement, le seuil de douleur est encore plus élevé ! Inversement, les femmes sont moins tolérantes si l’expé- rimentateur est un homme séduisant. Les vieux clichés de la femme fragile qui cherche la protection de l’homme et du mâle viril qui défie la douleur sont manifes- tement encore bien ancrés dans nos in- conscients. Quand les états d’âme sont genrés Les normes de genre jouent un rôle im- portant dans les troubles qui touchent à la vie psychique, comme la dépression. Le syn- drome de dépression majeure touche deux fois plus les femmes que les hommes. On a longtemps pensé que la dépression des femmes était liée à leur constitution bio- logique qui les rendrait plus fragiles et plus vulnérables. Les recherches actuelles montrent que les troubles dépressifs ré- sultent d’une intrication complexe entre des facteurs de tous ordres : biologique (gènes, hormones), psychologique, socio- culturel, hygiène de vie, etc. Les codes sociaux féminins et masculins influencent l’expression des symptômes. Les signes classiques tels que tristesse, pleurs, anxiété, perte d’énergie, troubles du sommeil, fatigue, irritabilité, stress, sont fréquents chez les femmes. En revanche, les hommes présentent davantage d’autres types de symptômes : colère, agressivité, consommation d’alcool et de drogues, com- portements à risque, hyperactivité. La fai- blesse émotionnelle, signe de vulnérabilité, Quizz égalité 1. Quelle est la définition actuelle du mot « santé » ? A. B. bon état physiologique du corps état de complet bien-être physique, mental et social 2. Depuis quand les médecins qualifient-ils les femmes de « sexe faible » ? Grèce antique A. B. Moyen Âge XIXe siècle C. 3. De combien d‘années les femmes dépassent-elles les hommes dans l‘espérance de vie ? A. B. C. 2 ans 6 ans 10 ans 4. Quelle est la première cause de mortalité des femmes dans le monde ? grossesse A. B. maladies cardiovasculaires C. cancer du sein 5. Les hommes peuvent-ils souffrir d‘ostéoporose ? A. B. oui non 6. Quel est le pourcentage de femmes incluses dans les essais cliniques ? A. B. C. 10 % 33 % 50 % 7. Combien de femmes ont été tuées par leur conjoint.e en 2015, en France ? A. B. C. 33 85 122 8. Combien d‘hommes ont été tués par leur conjoint.e en 2015, en France ? A. B. C. 0 22 80 9. Combien de femmes sont violées chaque jour en France ? A. B. C. 3 10 33 10. Quelles sont les causes des inégalités de santé entre les sexes ? A. B. C. différences biologiques stéréotypes de genre précarité et violence n’est pas socialement admise chez les hommes. diovasculaires, l’ostéoporose ou la dépres- sion. Pour eux, l’alternative est d’extérioriser leur souffrance psychique sous des formes qui satisfont aux critères de la virilité. Or beaucoup d’enquêtes sur la prévalence de la dépression ne considèrent que les symp- tômes classiques qui sont ceux exprimés majoritairement chez les femmes. En conséquence, la dépression est sous- diagnostiquée chez les hommes. Mais si les questionnaires des enquêtes incluent l’en- semble des symptômes exprimés par les femmes et les hommes, alors le pourcen- tage d’hommes présentant des troubles dé- pressifs est équivalent à celui des femmes, soit environ 30 %. L’autisme sous-diagnostiqué chez les filles L’autisme est un autre exemple de trouble influencé par les normes de genre. Les troubles autistiques sont en moyenne quatre fois plus fréquents chez les garçons que chez les filles. Les raisons de la diffé- rence de prévalence entre les sexes restent hypothétiques : origine génétique, trouble du développement du cerveau in utero, in- fluences des hormones, de substances toxiques, environnement psychologique fa- milial, etc. Une théorie très médiatisée postule que le comportement autiste est l’expression d’un fonctionnement « extrême » du cer- veau masculin sous l’effet de la testostérone pendant la vie fœtale. L’hormone aurait un effet masculinisant sur le cerveau des gar- çons, les rendant plus aptes à comprendre les systèmes complexes, les mathéma- tiques, les sciences et des techniques. À l’in- verse, chez les filles l’absence d’influence de la testostérone sur leur cerveau, les rendrait plus sociables, empathiques et attentives aux autres. Dans cette logique, chez les autistes, le re- pli sur soi et les difficultés de communica- tion, seraient l’expression d’un déficit des aptitudes cognitives à l’empathie, tandis que les capacités d’analyse des systèmes de type mathématiques serait exacerbées. On expliquerait ainsi la fréquence plus forte de l’autisme chez les garçons, et aussi des apti- tudes de certains autistes pour les mathé- matiques. Mais les preuves expérimentales font cruellement défaut pour conforter cette théorie car le rôle de la testostérone n’est pas démontré. Les recherches se pour- suivent. Une piste pertinente pour expliquer la différence de prévalence entre les sexes dans l’autisme tient aux normes sociales liées au genre. Le retrait sur soi, le défaut d’interactions sociales sont considérés chez une petite fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes sont davan- tage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons, car en décalage avec les représentations so- ciales des comportements des garçons cen- sées plus expansifs et dynamiques. En consé- quence, l’autisme est sous-diagnostiqué chez les filles. Dans une enquêté menée aux États-Unis sur un échantillon de 14 000 enfants pré- sentant des troubles autistiques avérés, 18 % des filles avaient été détectées dès le plus jeune âge contre 37 % des garçons. Nul ne conteste que les différences entre les sexes dans la santé soient le résultat d’une interaction complexe entre des fac- teurs biologiques, sociaux et culturel. Néan- moins, les normes sociales et les stéréo types liés au genre font encore obstacle à la prise en charges efficace et équitable de pa- thologies graves telles que les maladies car- Sensibiliser les soignants à la question du genre conduit à poser de meilleurs diagnos- tics et à prendre en charge les patients plus efficacement. Dans la recherche, la prise en compte de l’interaction entre sexe et genre permet de formuler de nouvelles hypo- thèses, pour comprendre les pathologies et élaborer de meilleures stratégies de préven- tion et de traitement. L’information à don- ner aux patients est tout autant nécessaire pour la prévention des pathologies, pour le plus grand bénéfice de la santé des femmes et des hommes. NDLR : Article reproduit selon les droits de li- cence Creative Commons. Première parution sur le site theconversa- tion.com en décembre 2017. Catherine Vidal Catherine Vidal est neurobiolo- giste, directrice de recherche honoraire à i’Institut Pasteur de Paris. Elle travaille actuelle- ment au comité d‘éthique de l‘Inserm, où elle est corespon- sable du groupe « Genre et Recherches en Santé ». Catherine Vidal se consacre aussi à la vulgarisation du savoir scientifique à travers des publications, des conférences et des interventions dans les médias. Son intérêt porte sur les rapports entre science et société, les enjeux éthiques des neurosciences, le dé- terminisme en biologie, le cerveau et le sexe. Elle est membre de ONU femmes France, de l’insti- tut Emilie du Châtelet, du laboratoire de l’égalité, de l’association femmes et sciences. Elle est co- directrice de la collection « Égale à égal » chez Belin. Elle a été promue Chevalière de la Légion d’Hon- neur en 2009. Livres : – « Nos cerveaux, tous pareils, tous différents ! », collection Égale à égal, Belin 2015. – « Cerveau, sexe et pouvoir » (avec D. Benoit- Browaeys), Belin, nouvelle édition 2015. Prix de l‘Académie des Sciences Morales et Poli- tiques – « Les filles ont-elles un cerveau fait pour les maths ? », éditions Le Pommier, 2012. – « Hommes, femmes : avons-nous le même cer- veau ? »,éditions Le Pommier, 2012. – « Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ? » Le Pommier, 2009. – « Nos enfants sous haute surveillance », Evalua- tions, dépistages, médicaments... (avec S. Giampi- no), Albin Michel, 2009. – « Féminin/Masculin : mythes et idéologie », (sous la direction de C. Vidal), Belin, 2006. Lien internet : http://www.tedxparis.com/catherine-vidal-le- cerveau-a-t-il-un-sexe/ Murielle Salle Historienne, maîtresse de conférences, j’enseigne à l’Uni- versité Claude Bernard Lyon 1 depuis 2010, où je participe à la fois à la formation des futurs enseignants et des futurs mé- decins. J‘interviens également depuis 7 ans à l’IEP de Lyon, dans le cadre d’un cours intitulée « Genre, Sexe et Politique » et, depuis 2017, dans le cadre d’un séminaire de recherche que je pilote.