Esthétique Tribune Édition Française | Mars 2019 CAS CLINIQUE 11 l’être humain commence à réagir aux sti- muli extérieurs tels que les sons, les voix, les images ou la présence de formes familières. R. A. Spitz voit dans le sourire les caractéris- tiques de la deuxième phase de développe- ment de l’enfant, marquée par le passage d’une absence totale de différenciation entre le monde intérieur et le monde exté- rieur à une première forme de reconnais- sance des différences entre ces deux mondes et, par conséquent, une perception de la différence entre le moi et l’autre que moi (Galimberti, 2004). Le sourire est lui-même porteur de cer- taines fonctions biologiques de base, no- tamment les fonctions qui permettent et renforcent les liens sociaux de proximité : par exemple, un sourire de bébé fait office de catalyseur social dans la relation mère-enfant car lorsque celle-ci voit le sou- rire de son bébé, elle réagit tendrement, avec beaucoup plus d’attention, de présence et de soins. (Bonaiuto, Maricchiolo 2006). On voit donc à quel point le sourire est important ! Il est une invitation au rapprochement, une manière d’accueillir, et un signe qui marque la disposition d’une personne à commencer et maintenir une relation so- ciale. Le sourire est d‘une grande efficacité pour inhiber l’attitude compétitive des autres : parfois un sourire franc est suffisant pour montrer sa disponibilité et sa non- opposition envers les autres. Beaucoup de personnes ont toutefois cer- taines difficultés à sourire, souvent en raison d’une denture visiblement inharmo- nieuse, telle que la présence de diastèmes, de dents trop petites, non alignées ou dyschromiques, bien qu’il n’existe aucune pathologie grave affectant les tissus intra- oraux et péribuccaux. Ainsi, bien souvent, lorsque le praticien demande à ces per- sonnes de lui adresser un sourire plus spon- tané, elles ont tendance à le dissimuler en plaçant leur main entrouverte devant leur bouche et leurs dents (Fig. 4). Le praticien, en sa qualité « d’interlocuteur privilégié » doit alors user de sa meilleure tactique, par exemple, la stratégie du « E position Smile » pour réussir à « arracher » un sourire de la bouche (Fig. 5). Mais le sourire est aussi contagieux : il se réfléchit sur les autres et les dispose favora- blement à entamer et poursuivre une rela- tion. Tout compte fait, on peut affirmer que le sourire est un puissant instrument rela- tionnel mis à notre disposition. Cela nous amène à une autre réflexion : le sourire n’a absolument aucun lien direct avec l’expression de nos émotions, mais il se rattache surtout aux interactions sociales. Les gens sourient plus souvent lorsqu’ils se trouvent en compagnie d’autres personnes. Le sourire facilite et stimule les relations et contribue à leur maintien. Il peut alors se révéler opportun que le chirurgien-dentiste pousse son patient à réfléchir sur tous ces aspects. Ceux-ci sont susceptibles de faire apparaître au patient que l’esthétique du sourire est loin d’être une question d’apparence et de considéra- tions futiles, mais revêt au contraire un caractère plus profond lié à sa manière d’être, à son efficacité à nouer des relations sociales et, comme Rogers le cite, à son « pouvoir personnel » (C. Rogers, 1977). De plus, ce besoin esthétique trouve ses racines dans l’enfance, dans les premières relations profondément vécues et se rattache à l’es- time de soi. Celle-ci, l’estime de soi, que les analystes appellent le narcissisme sain (Mc Williams 2002), est une composante émotionnelle individuelle ; elle dépend du vécu de la per- sonne, des impressions ressenties dans le présent et le passé, issues de l’espace de vie, et de la perception tant physique que psy- chique du moi. L’estime de soi est étroite- ment liée aux qualités idéalisées et admi- rées, en nous-mêmes et dans les autres. Pour obtenir des informations importantes sur l’estime que le patient a de lui-même, les questions les plus utiles pourraient donc être : « Qu’admirez-vous chez les autres ? », « Quelles sont les choses dont vous retirez le plus de satisfaction ? », « Quelles sont les choses qui provoquent le plus votre insatis- faction et quelles sont celles qui vous satis- font ? ». Alice W. Pape (1992) affirme que l’estime de soi surgit d’une comparaison entre l’image que chacun a de lui-même et l’image qu’il voudrait représenter. Dans cette op- tique, plus « ce que l’on est » est éloigné de « ce que l’on voudrait être », plus l’on se sent inutile et le moins satisfait de soi-même. L’estime de soi ne représente qu’une com- posante du bien-être psychologique, mais elle fonctionne comme un objectif particu- lier qui agrandit ou réduit les ressources personnelles ; de plus, elle n‘est pas un état permanent mais un état modifiable sur le- quel il possible de travailler. Ainsi, pour améliorer l’estime de soi, il est essentiel de se concentrer sur les choses sui- vantes : 1. Comprendre quelles sont nos propres va- leurs cardinales puis clarifier ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas dans la vie. 2. Prendre conscience des sentiments des- tructeurs : apprendre à reconnaître et ap- procher les sentiments les plus sains, ceux qui apportent un soutien dans les mo- ments difficiles. 3. Travailler à notre propre image. Ce dernier point concerne les aspects rela- tionnels, individuels et psycho-affectifs qui passent dans un lacis étroit fait de corps et d’esprit, respectant une vision du bien-être qui tient compte de la personne tant sur le plan physique et organique que psychique étant donné que ces deux dimensions sont intimement liées. Aujourd‘hui, le psychologue et le prati- cien sont tous deux dans l’erreur lorsqu’ils considèrent que seule une « partie » du patient relève de leur domaine de com- pétence, et pas la personne unique que re- présente ce patient dont le bien-être oscille entre l’aspect physique et l’aspect affectif/ émotionnel. C’est pourquoi, face à un patient, un pra- ticien doit interagir efficacement avec ce- lui-ci (Canestrari Cipolli 1991) pour faciliter ou renforcer les objectifs du dialogue ou du traitement proposé. Malgré le maintien d’un certain type de communication for- melle qui garantit l’asymétrie de la relation thérapeutique, définie par les différences de rôle, de compétence, d’autorité entre les interlocuteurs et le fait que l’un d’eux de- mande de l’aide à l’autre, l’investissement émotionnel du praticien vis-à-vis du pa- tient doit surtout se manifester au travers d’une participation et d’un intérêt sincère pour ce que dit ce patient. On a pu consta- ter à quel point la sensibilité du praticien et ses capacités à décoder les signes non ver- baux et à reconnaître les émotions liées à ces signes ou des attitudes sont détermi- nantes. Di Matteo et al. (1979) ont démontré la corrélation positive entre l’habileté du praticien à décoder les signes non verbaux exprimés par le patient et la satisfaction/le sentiment de sécurité éprouvé par ce der- nier. La sensibilité et l’apprentissage des signes non verbaux semblent potentialiser les ca- pacités du praticien à nouer une relation 4 5 6 Fig. 4 : Sourire dissimulé. | Fig. 5 : Sourire en « position E ». | Fig. 6 : Sourire de circonstance après le traitement esthétique. plus authentique et moins formelle avec le patient ; il crée ainsi la condition essentielle à l’établissement d’une relation de confiance avec le patient. La sensibilité à l’égard de l’expression émotionnelle du patient et la capacité de comprendre son état affectif semblent en outre favoriser la propension de ce patient à se confier et parler librement de ses pro- blèmes, ce qui facilite la pose d’un diagnos- tic plus précis (Raffagnino, Occhioni 2000). Un moment crucial dans la relation entre le praticien et le patient est celui qui marque le début leur interaction dyadique. La pre- mière impression est importante dans chaque interaction et peut influencer posi- tivement ou négativement la progression de l’échange. L’image que se fait le patient de son praticien, au regard de ses compé- tences, de son professionnalisme et de ses aptitudes particulières, peut répondre aux attentes du patient et faciliter son ouver- ture, sa coopération et sa flexibilité, ou au contraire tout détruire. L’équilibre entre les signes « statiques » (tenue, apparence phy- sique et faciale, coiffure), inhérents à la po- sition et à l’autorité du praticien, et les signes « dynamiques » (regard, posture, maintien à distance, expression faciale, ton de la voix), révélant l’engagement, la partici- pation et l’intérêt du praticien envers son patient, semble être la caractéristique prin- cipale qui marque un bon départ. Le prati- cien doit toujours utiliser les signes distinc- tifs de sa fonction mais, en même temps, s’exprimer avec un mode de communica- tion non verbale accueillante menant à une relation qui adoucit la formalité de la ren- contre. Ce tout premier instant, dit du « joining », représente d’une part une phase où l’entrée en interaction est le présupposé permettant de créer la base sur laquelle le dialogue sera structuré, et d’autre part, de poser le fonde- ment de la coopération praticien-patient et de la relation de confiance qui s’installe dès ce tout premier instant. Concept de la beauté et dentisterie esthétique Au cours des 30 dernières années, l’es- thétique a changé la face de la profession dentaire et le désir d’une partie des pa- tients de posséder de belles dents constitue un bond énorme des techniques d’image- rie par rapport au passé. En fait, si l’on considère l’évolution du sourire d’un point de vue culturel, on se rend compte que, dès le début du XXe siècle, le développement des images (photographiques et cinémato- graphiques) est apparu en même temps que les progrès techniques et technolo- giques dans le domaine dentaire et médi- cal. Les pionniers de la dentisterie esthétique, tels que Goldsmith et Rufenacht, ont contri- bué à sensibiliser les chirurgiens-dentistes au concept de la beauté, et ces chirur- giens-dentistes ont leur tour fait prendre conscience aux patients de l‘importance d’un meilleur aspect du sourire dans l’esthé- tique faciale. De nos jours, le public est de plus en plus attiré par l’esthétique dentaire en raison du développement du concept de la beauté, lar- gement diffusé grâce aux stratégies inter- net, des tendances actuelles de la dentisterie esthétique et de la couverture médiatique