droit On constate depuis une tendance au contrôle juridictionnel des recommandations de bonnes pratiques qui semblent donc devenir atta- quables. Le Conseil d’État élabore désormais une jurisprudence positive en la matière. Les implications juridiques pour le praticien : Contraintes exercées sur le professionnel de sante via le truchement des données acquises de la science : La décision du 12/01/2005 du Conseil d’État ne donnait pas aux recommandations de bonnes pratiques de valeur impérative, et n’en faisait pas la source unique des données acquises de la science. Cependant les recommandations constituent pour les juges l’élément central d’appréciation du respect par le professionnel, de son obligation de délivrer des soins conformes aux données ac- quises de la science, même en l’absence, en droit, de valeur normative des recommandations : Ainsi, la cour d’appel de Montpellier (juridic- tion civile) considère que « si les recommanda- tions de l’HAS n’ont pas une valeur normative juridique, elles n’en sont pas moins une valeur scientifique, au même titre que les données ac- quises de la science… »,6 dans une affaire où, suite à une intervention chirurgicale, un patient qui avait subi une infection reprochait au chirur- gien le non-respect des conditions d’asepsie dé- terminées par une recommandation de la HAS. Élément aisément transposable à notre acti- vité de chirurgie implantaire, sous influence no- tamment de la recommandation de la HAS, rela- tive à l’environnement technique.7 Ainsi, le non-respect d’une recommandation constituerait donc pour les juges une présomp- tion de faute. Contraintes exercées par la CPAM sur le professionnel de santé : En dehors de tout litige patient/praticien, « les lois de financement de la Sécurité sociale font référence aux recommandations de bonnes pratiques, depuis au moins le début des années 2000. C’est le cas également de plusieurs ar- ticles du code de la Sécurité sociale et de la loi HPST de 2009. Dans ces différents textes légis- latifs, le remboursement des actes de soins par l’assurance maladie est de plus en plus étroite- ment conditionné par le respect des bonnes pra- tiques ».8 leurs pairs Les professionnels de santé sont encadrés par (médecins ou dentistes « conseils ») et par leurs patients « consomma- teurs de soins » qui auront tout intérêt à recou- rir aux actes indiqués par les RBP, afin de béné- ficier du remboursement à 100 % du régime de l’ALD (Affection de longue durée). Car pour ces derniers, les RBP sont garantes de « bonnes pra- tiques ». Alors qu’il y a une volonté notoire d’in- fléchir le comportement des professionnels de santé dans le sens d’une réduction des coûts. On peut se surprendre à penser que l’avène- ment de la CCAM (Classification commune des actes médicaux) pourrait permettre une ana- lyse plus fine des actes des professionnels de santé afin de potentiellement les sanctionner. L’article L145-1 du code de la Sécurité sociale permet ainsi de sanctionner le profes- sionnel de santé : « Les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l‘exercice de la profession, relevés à l‘encontre des médecins, chirurgiens- dentistes ou sages-femmes, à l‘occasion des soins dispensés aux assurés sociaux, sont soumis » à la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance et en appel à la chambre disciplinaire nationale du conseil national de l‘ordre compétent. C’est l’apanage du droit administratif. Les implications cliniques pour le professionnel de santé : Sur la justesse et la crédibilité des recom- mandations de bonnes pratiques : Mais qu’en est-il de la crédibilité et de la jus- tesse des recommandations de bonnes pra- tiques : • Quand elles deviennent obsolètes, sachant que le développement des connaissances mé- dicales connaît rapidement un développe- ment exponentiel ? Les recommandations de bonnes pratiques ne représentent en fait qu’un instantané des données acquises de la science, uniquement au moment de leur ré- daction et elles ne sont pas actualisées régu- lièrement. • Quand elles sont potentiellement dange- reuses ? Certaines recommandations de bonnes pra- tiques sont potentiellement dangereuses « lorsqu’elles reposent sur des données erro- nées, ou lorsque les données sur lesquelles elles reposent ne sont pas actualisées alors que des éléments nouveaux ont été publiés. »9 • Quand les économies de santé imposent leur loi ? Étienne Caniard faisait état dans son rapport au ministre Kouchner de recomman- dations « économiquement satisfaisantes » !10 Mais soins « au rabais » et maîtrise unique- ment comptable des dépenses de santé ne peuvent permettre l’adhésion de l’opinion pu- blique et des professionnels de santé. En effet, la notion de maîtrise économique du coût de la santé se confronte à l’obligation de moyens du professionnel de santé, qui doit pro- diguer à son patient les soins les plus adaptés. En pratique : approche déontologique : Le Conseil national de l’ordre des médecins,11 tout en commentant l’article 32 du code de déontologie (renommé R. 4127-32 du code de la santé publique), et en particulier l’expression « données acquises de la science » nous apporte un avis éclairant sur les recommandations de bonnes pratiques : « …cette science médicale ne doit pas se voir attribuer une portée absolue. Elle donne des in- dications générales, guidant le médecin face à un patient particulier et n‘impose pas qu‘on les applique sans esprit critique. Cela signifie qu‘elles seront suivies simplement dans la plu- part des cas, tandis que pour les autres patients le médecin s‘en inspirera pour personnaliser une conduite à tenir en y apportant les nuances de l‘art médical. Ces nuances ne sont pas le fruit d‘une inspiration personnelle extemporanée, elles doivent pouvoir être justifiées sur des cri- tères objectifs. » Il semble donc indispensable pour le profes- sionnel de santé d’adapter les recommandations de bonnes pratiques émanant des autorités pu- bliques en fonction : • pour ces recommandations : • pour le praticien : · de leur validité au moment du traitement ; · de la pertinence de leur contenu. · de ses connaissances scientifiques solide- ment étayées (enseignement, publications de niveau de preuve élevé, recommandation très récente de société savante, consensus, conférences suivies notamment dans le cadre de sa formation continue impérative, consacrée par le code de déontologie) ; · de son éthique ; · du cas particulier du patient ; · voire même du refus12 de ce dernier de se voir prodiguer un traitement pourtant préco- nisé par une recommandation de bonne pra- tique, tout en sachant que le non-respect des recommandations devrait constituer aux yeux du juge une présomption de faute du praticien. Dans ce cas, il appartiendra au mé- decin poursuivi de prouver que lesdites re- commandations ne correspondent pas ou plus aux données acquises de la science au moment du comportement présumé fautif, ou qu’elles ne correspondent pas au cas par- ticulier du patient. bliques sont des instruments de droit souples à la juridicité incertaine, évoluant au gré des jurisprudences. Créées initialement pour guider le praticien dans ses choix thérapeutiques, tout en maîtri- sant le progrès médical et son impact écono- mique, elles sont désormais considérées comme « faisant grief » potentiellement au patient, au praticien, voire à un établissement de soins, en vertu de leur formulation impérative (RMO) ou de leurs effets. Le Conseil d’État semble accepter de se pen- cher sur elles, afin vraisemblablement de ne pas laisser les autorités publiques s’octroyer un pou- voir en l’absence de tout contrôle juridiction- nel.13 Ainsi, le recours en excès de pouvoir de- vient possible. Bien qu’elles exercent une contrainte ma- jeure sur le professionnel de santé, les juges re- connaissent cependant qu’elles ne sont pas la source unique des données acquises de la science, ouvrant ainsi la possibilité au praticien poursuivi de justifier ses choix thérapeutiques dès lors qu’ils divergeraient desdites recomman- dations. 1 David Jacotot. Quelle valeur accorder aux recom- mandations de la HAS ? La lettre N°100, Septemb- re 2011 pages 29 à 31. 2 Bery A, Cantaloube D, Delprat L. Expertise dentaire et maxillo-faciale. Principes, conduite et indemnisa- tion, EDP sciences, 2010, 403p. 3 Claudot F, Juillière Y. La portée juridique des re- commandations de la HAS : les appliquer ou ne pas les appliquer ? CONSENSUS CARDIO pour le prati- cien- N°72. Octobre 2011, pages 30 à 32. 4 Conseil d’État 26 septembre 2005, 1re et 6e sous- sections réunies. N°270234. 5 Conseil d’État, 1re et 6e sous-sections réunies, 27/04/2011, N° 334396 (arrêt formindep). 6 CA Montpellier. 26 novembre 2013, n°12/06098 7 Conditions de réalisation des actes d’implantologie orale : environnement technique : HAS 2008. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/ application/pdf/2008-07/rapport_implantologie_ orale_vd.pdf 8 Rolland C, Sicot F. Les recommandations de bonnes pratiques en santé. Du savoir médical au pouvoir néo-managérial. Gouvernement et action publique. 2012/3 (n°3), p. 53-75. (Presses de Sciences Po). 9 Diévart F. Les recommandations de bonnes pra- tiques : vers une situation potentiellement para- doxale ? Réalités Cardiologiques n°300, mars/avril 2014, p. 8 à 12. 10 Caniard Etienne. Les recommandations de bonnes pratiques : un outil de dialogue, de responsabilité et de diffusion de l’innovation. Rapport à M. Bernard Kouchner, Ministre de la Santé. Avril 2002. 93 p. 11 Site internet du Conseil national de l’ordre des médecins. Commentaire sur l’article 32 du code de déontologie (article R.4127-32 du code de la santé publique) 11/10/2012. https://www.conseil-national.medecin.fr/article/ article-32-qualite-des-soins-256. 12 Simonet P, Missika P, Pommarède P. Recom- mandations de bonnes pratiques en odonto- stomatologie- Anticiper et gérer la contestation. Edi- tions Espace ID, 2015, 416p. 13 Véron Paul. L’évolution du contrôle des recomman- dations de bonnes pratiques, Médecine & Droit 2015 (pages 53 à 62). Dr Sylvie Cohen-Tanugi Sebag · Docteur en chirurgie dentaire, diplômée de l’université de Paris 7. · CES de biomatériaux, de prothèse fixée, de parodontologie de l’université Paris 7. · DU de prothèse fixée de Paris 7. · DU d’implantologie de l’université d’Evry-Val d’Essonne Paris 12. · DU d’expertise en médecine dentaire de l’uni- versité Paris Diderot - Paris 7. 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