10 SOCIÉTÉ Dental Tribune Édition Française | Octobre 2018 Cela suppose d’abord l’adoption concer- tée d’une grille universelle admise par tous les acteurs engagés. On gagnerait en sécuri- té pour les séniors concernés, plus de lisibi- lité et de transparence pour les différents acteurs, une meilleure cohésion dans les ré- ponses apportées par chacun et donc en dé- finitive, une meilleure implication, notam- ment des assureurs. Un assureur ne peut, en effet, s’impliquer fortement s’il ne dispose pas en amont d’un niveau d’information suffisant pour quanti- fier le risque correctement, et déterminer ainsi le niveau de son engagement. L’objectif est de répondre aux attentes lé- gitimes des assurés qui sont fondées sur des besoins réels et identifiés. Le marché est co- lossal et le potentiel de croissance élevé. Conscients des enjeux, les assureurs ont souhaité créer en mai 2013 un label, le GAD (Garantie assurance dépendance). Les pro- duits référencés respectent un cahier des charges établi sur la base de critères de qua- lité et de transparence visant notamment à assouplir les conditions de souscription, et à amener un socle de garanties minimum. On trouve donc aujourd’hui sur le mar- ché une offre en matière d’assurance Dé- pendance. Encore faut-il savoir en analyser le conte- nu, vérifier les clauses pour choisir le contrat correspondant à ses besoins. Il existe en effet différentes approches : – L’option dépendance sur un contrat d’épargne assurance vie : en cas de perte d’autonomie, l’assuré percevra une rente viagère. Cette solution présente comme avantage de préserver le capital si le risque ne se déclare pas ; l’inconvénient de cette formule en revanche, c’est que la rente pour être efficace (suffisante et durable) nécessi- tera la constitution d’un capital consé- quent. Ce ne sera pas à la portée de tous les foyers. – Le contrat de dépendance : moyennant une cotisation mensuelle, l’assuré bénéficiera d’une rente viagère en cas de vieillissement prématuré. Inconvénient de la solution, s’agissant d’une pure assurance, les fonds versés ne sont pas récupérables. À contrario, peu importe la durée de cotisation, si le risque se réalise, l’assuré percevra jusqu’à son décès la rente prévue au contrat. Dans cette dernière formule, qui reste malgré tout la plus adaptée, deux types de prises en charge seront proposées : – La dépendance totale – La dépendance partielle Or chaque assureur est libre de fixer le curseur comme il le souhaite. Quand est-on considéré en dépendance totale, en dépen- dance partielle, et dans ce dernier cas, quels sont les degrés à considérer ? C’est là tout l’enjeu pour l’assuré puisque sa prise en charge et son indemnisation découlent di- rectement des réponses apportées par l’as- sureur à ces sujets. Les assurés devront aussi être vigilants sur les questions de franchise et de délais de carence qui décalent, le début de l’interven- tion de l’assureur. Egalement sur la grille d’analyse retenue pour l’évaluation de la dé- pendance. Si le label GAD ne préjuge pas de la qualité du contrat, il apporte quand même une sé- curité aux futurs souscripteurs. Mais il ne s’applique qu’à la dépendance lourde. Il est donc fortement conseillé de privilégier un dispositif prenant en compte la dépendance partielle car la dépendance totale est plus tardive, et les critères d’attribution, plus res- trictifs. Attention enfin à la notion « d’état consolidé » car précisément, la dépendance est un état évolutif. Cette clause dans le cas précis de la perte d’autonomie s’avérera abusive dans le sens où elle aboutira à un report sans fin du versement de la rente. Paradoxalement, le taux d’équipement reste faible alors que le marché cible pré- sente un potentiel de croissance élevé. Les français restent, c’est un fait, réticents à souscrire ce type de garantie. Il faut dire que les freins en effet sont nombreux : – Les questionnaires de santé effraient et sont souvent vécus comme des barrages infranchissables ; il est vrai que l’âge moyen de souscription est de 60 ans. – Le coût va crescendo avec l’âge et peut de- venir prohibitif. – Le risque est perçu comme lointain et à faible probabilité. Même s’il est identifié comme un risque lourd, on a toujours du mal à se projeter sur des situations qui renvoient à notre propre déchéance ; parce qu’il est toujours plus facile d’appré- hender des risques plus fréquents et proches dans le temps. – Les fausses idées peuvent aussi avoir cours, notamment celles selon lesquelles le patri- moine constitué suffira à couvrir les dé- penses et pallier l’insuffisance de la pension de retraite. Ce ne sera pas toujours vrai ! Le problème de la dépendance finalement, en raison de sa complexité touche au cœur de notre organisation. C’est toute la société française qui est questionnée. Et demain ? Les mathématiciens nous diraient que pour résoudre un problème complexe, à plusieurs inconnues, il est nécessaire de sortir du cadre, de voir la situation de l’exté- rieur pour mieux la mesurer et en imaginer la solution. Sans doute devrons-nous nous inspirer de cette méthode pour réinventer le traite- ment du vieillissement et de la maladie chronique. Quelles sont les pistes de solutions à explorer ? Quel engagement des pouvoirs publics doit-on attendre ? En tout premier lieu, n’est-ce pas à l’État qu’il revient de prendre ses responsabilités ? Que voulons-nous comme société ? Quel rapport à nos « anciens » souhai- tons-nous maintenir ? Dans quelles conditions souhaitons-nous vivre nous-mêmes nos dernières années ? Ce sont des questions fondamentales auxquelles nous devons répondre collecti- vement. Rationnaliser les aides, augmenter leur efficacité, faciliter le parcours de prise en charge, créer un statut de l’aidant, voire une rémunération de l’aidant familial autre que le conjoint, accompagner la fin de vie dignement, développer les structures d’ac- cueil adaptées, améliorer la formation du personnel, favoriser le maintien à domicile tant que cela est possible, etc. sont tout au- tant de domaines dans lesquels l’État pour- rait intervenir utilement. Deux propositions récentes ont été évo- quées : – La solution étatique avec la création du 5e pilier de la sécurité sociale ; idée déjà ancienne envisagée sous le mandat de Jacques Chirac et reprise sous Nicolas Sarkozy. – La solution évoquée par Agnès Buzyn, ac- tuelle Ministre des solidarités et de la san- té, qui réfléchit à la création d’une nouvelle journée de solidarité. Rappelons que la 1re a été créée par le gouvernement Raffarin pour financer l’aide aux personnes âgées ; c’est le lundi de Pentecôte qui a été retenu. Les aspects de formation et de prévention ne sont pas non plus à négliger car on sait à quel point le mode de vie influe sur la santé. Bien s’alimenter, rester physiquement actif, maintenir une vie sociale, veiller à un som- meil de qualité sont des comportements qu’il faudra encourager. Quoi qu’il en soit, pour être efficace, sans doute faudra-t-il identifier le risque sur une classe d’âge, faire de la prévention à cinq ans, définir un protocole d’actions, organiser la coordination des différents intervenants. La ministre des Solidarités et de la Santé Mme Agnès Buzyn, vient de présenter son plan pour les Ehpad. Il se résume en trois points clés : mutualisation d’une astreinte infirmière sur plusieurs établissements, dé- veloppement de l’hospitalisation à domi- cile, généralisation d’ici 2022 de la télémé- decine. Il faudra toutefois attendre 2019 pour que le débat porte sur la question du financement car ce point n’a pas encore été tranché. Et les assureurs, que disent-ils ? Au plan sanitaire, le discours est le même : la prévention est essentielle car un risque se maîtrise d’autant plus qu’il est connu et an- ticipé. Au plan technique, la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurance) tente d’apporter des pistes de réflexion au débat. L’idée évoquée s’inspire de celle qui est déjà en œuvre pour les catastrophes natu- relles : le financement solidaire. Il s’agit de faire chaque français cotiser quelques euros au titre de la solidarité, quand la dimension purement assurantielle rencontre ses li- mites. Pour cela, on utilise en support une assurance obligatoire qui a l’avantage de concerner le plus grand nombre de per- sonnes facilitant ainsi la plus large mutuali- sation. Depuis 2016, les mutuelles sont devenues obligatoires dans les entreprises. Le taux d’équipement atteint 98 % de la population. Les assureurs proposent donc d’utiliser ce dispositif comme véhicule de cette contri- bution au risque dépendance. Mais il est vrai que les mutuelles sont de plus en plus coûteuses, pour les familles comme pour les personnes âgées, provoquant parfois le renoncement des personnes dont les bourses sont les plus fragiles. Cette solution par conséquent, si elle offre techniquement des vrais avantages, soulève quelques réti- cences. Poursuivre l’amélioration des offres d’as- surance et leur lisibilité reste une préoccu- pation ; agir également en vue de la création d’une seule grille d’analyse est une idée consensuelle. Les entreprises s’invitent dans le jeu, malgré elles La définition d’une entreprise ne peut plus se résumer à la seule création de valeur ajoutée. Celle-ci doit se réinventer autour de la notion de responsabilité sociétale. Elle va devoir en effet considérer cette situation au plan opérationnel comme une nouvelle donne à intégrer dans sa vision RH. L’entreprise aura ainsi, c’est évident, un rôle à jouer en valorisant la mise en place de dispositifs à destination des aidants fami- liaux tels que : des aménagements de temps de travail, le développement du télétravail, l’accès à des congés temporaires, des aides financières, etc. La société civile Elle n’est pas en reste. La fondation France répit est née en 2013 s’inspirant de ce qui existe au Canada, en Allemagne, en Belgique pour créer la maison de répit. Elle accueille les malades seuls, ne pouvant sé- journer en hôpital, et offre des séjours fa- miliaux aux proches avec un crédit annuel de jours. Et les nouvelles technologies, un puit de réponses non encore exploitées Apport positif de la vie moderne, s’il en est, les nouvelles technologies et leur cor- tège de solutions innovantes pourront servir d’appui aux différents acteurs pour accompagner et conforter les dispositifs mis en place. Certaines ont déjà cours comme la téléassistance, la télémédecine, la domotique. L’intelligence artificielle en plein essor révolutionne aussi le champ des possibles. La recherche se poursuivra en ce sens. Tous les secteurs seront concernés, les transports, les soins, la prévention, la pré- diction du risque sur les questions d’assu- rance, l’assistance, etc. En conclusion La perte d’autonomie, qui doit donner lieu en 2019 à un grand débat national, est un défi technique pour les assureurs, orga- nisationnel et financier pour l’État, écono- mique pour les entreprises. Elle va appeler à des solutions pragma- tiques, des discussions objectives et ration- nelles, des arbitrages de long terme. Car l’équation est difficile, c’est vrai ! La dépendance de notre entourage, telle que nous la vivons aujourd’hui, nous laisse entrevoir clairement les conditions que nous connaitrons à notre tour dans quelques années. C’est une réalité qui nous invite à réfléchir lucidement à la société que nous voulons et à la place que nous serons tous capables de consacrer au grand âge. Être centenaire aujourd’hui ne relève presque plus du facteur chance, d’une géné- tique favorable et du fait exceptionnel. Homo Sapiens vivra de plus en plus vieux. Le grand âge ne saurait donc être une simple ligne de coût dans le budget de la collectivi- té, faisant l’objet d’une gestion comptable froide et déshumanisée. Bien au contraire, à l’heure où la science- fiction pénètre notre quotidien, avec les voi- tures autonomes, bientôt les taxis volants, les livraisons par drone, des robots « coach de vie », etc., cela appelle à redéfinir le péri- mètre de responsabilité de chacun d’entre nous. N’est-il pas temps de remettre l’homme et son bien-être au centre des pré- occupations ? En définitive, parce qu’ils nous bous- culent et nous contraignent à une profonde remise en cause, nos seniors nous ques- tionnent intimement et en cela sont l’avenir de notre société « new age ». Me Karine Guatel · DESS droit des assurances Institut des assurances de Paris · Gérante de Prométhée expertise et courtage, membre du groupe Sofraco. Cabinet de courtage spécialisé en protection sociale du dirigeant et du professionnel indépendant, créé en juillet 2011. · Son domaine de compétences : (Retraite, Prévoyance, Mutuelle, Epargne) · Pavillon Voltaire, 17 rue Léon Martine 92290 Châtenay- Malabry · (33) 6 64 33 67 66